La China Charity Federation (CCF), une organisation caritative apparue en 2004, a annoncé récemment avoir levé 6 milliards de yuans (soit 912 M$) en 2010, à la fois en numéraire et en marchandises. Ce chiffre marque une progression de 29% par rapport à 2009. Pour son Président, Fan Baojun, de plus en plus d’entreprises ont conscience de leurs responsabilités. Pour lui, «la philanthropie n’est pas seulement une question d’image, mais est devenue aussi un moyen d’améliorer sa compétitivité».
Par ailleurs, le nombre de fondations caritatives a pratiquement doublé depuis 3 ans, progressant de 436 en 2007 à 746 en 2009, selon le Rapport annuel 2010 de la Philanthropie en Chine.
Plusieurs milliardaires ont fait la Une en décidant de léguer toute leur fortune à des organismes de bienfaisance. La venue dans l’Empire du Milieu de Bill Gates et Warren Buffett en septembre 2010 a dirigé les projecteurs sur ces questions, en sachant qu’ils existent des différences fondamentales entre les Etats-Unis et la Chine : religion, fiscalité, ancienneté de la Révolution industrielle. Mais le diner organisé par les ténors Américains du Doing Good a été boudé par une partie des convives, qui estimaient qu'ils "n'avaient pas de leçon à recevoir d'eux". De nombreux invités présents sont tombés d’accord pour constater que mener à bien son entreprise, payer des impôts et créer des emplois, constituent déjà une œuvre philanthropique à part entière, sans avoir besoin pour autant de suivre l’exemple radical de la donation intégrale.
Wang Dongya, du China Youth Daily, explique bien cet accueil mitigé. Ses propos sont repris sur 88-Bar.com. "Le silence sur l'événement est embarrassant. Mais, Bill Gates ne comprend pas comment les choses fonctionnent en Chine. Vous ne pouvez pas inviter les Chinois les plus fortunés à ce type de réunion de haut niveau sans qu’ils aient une obligation de faire un don. Les invités ne sauront pas quoi faire..."
"...Assister au banquet et faire un don va les faire passer pour des lâches venus écouter la leçon de leur maître. Mais, refuser de donner est encore pire. Chaque invité est immensément riche, alors quel que soit le montant du don, il pourrait paraître insuffisant, et se retrouver comparés à ce qu’auront fait ses pairs. La vérité, c’est que beaucoup d'entre eux seraient prêts à donner, mais parfois, sauver la face est plus important. "
Pourtant, Chen Guangbiao, dont la fortune est estimée à 440 millions de dollars, s’est associé, le 8 septembre, à l'appel aux dons lancé en août aux milliardaires américains sur le site Internet de son groupe. Cet entrepreneur, 42 ans, qui emploie notamment d’anciens prisonniers et des migrants, a annoncé qu'il léguerait à sa mort l'intégralité de sa fortune à des œuvres caritatives. Ses enfants n’auront rien. Ce défenseur de l’environnement qui se rend à son travail à vélo (photo ci-dessus) à Nanjing a même lancé un défi à la population, qui si elle le voit aller au travail en voiture, recevrait une récompense de 1.000 euros.
Néanmoins, comme certaines actions de bienfaisance ont débouché dans le passé sur une certaine gabegie, voire des fraudes, un cadre législatif va être mis en place en Chine pour améliorer la transparence et la bonne gestion des organismes de générosité. Pour le vice-ministre chinois des Affaires civiles, Monsieur Dou Yupei, le moment est devenu propice au développement d’une culture philanthropique, qui en est à ses prémices aujourd’hui, même s’il existe une tradition dans ce domaine, comme l’indique en effet Philanthropie Québec : « Les organismes de charité chinois sont originaires des guildes de commerçants créées sous les dynasties des Tang (618-907) et des Song (960-1279). Quatre périodes majeures ont marqué l'histoire des organismes en Chine. Elles s'étalent de 1644 à 1978 et ont varié au fil des changements politiques. »
Selon les connaisseurs de la Chine, le monde des affaires ne peut plus accumuler les profits en faisant la sourde oreille aux besoins de la société. Pour le président de Cerphi, Antoine Vaccaro, cité par Youphil le 7 mars 2011 "la philanthropie chinoise vit son moment inaugural et qu'obligatoirement les richesses vont se socialiser." Pour lui, « ces milliardaires chinois qui font fortune sur un terreau de pauvreté vont avoir deux préoccupations: pérenniser leur nom et surtout intervenir dans la société afin d'éviter de possibles contestations".
Car, si la croissance chinoise a permis une amélioration du niveau de vie ces dernières années, la société civile constate également selon La Croix un fossé grandissant entre les revenus. Pour Shi Chen, jeune entrepreneur de Hangzhou, capitale de la très riche province du Zhejiang, le mécontentement latent est facile à expliquer :
«Nombre de fortunes aujourd’hui ne se sont pas faites de façon très légale. Tout le monde sait, sans jamais le dire ouvertement, qu’une nouvelle grande fortune, que ce soit dans l’immobilier, l’industrie ou les services n’a pu se réaliser sans une collusion plus ou moins forte avec les autorités politiques locales. Aux yeux d’une partie de l’opinion publique, l’enrichissement est lié à la corruption ».Ces préoccupations autour des mécènes ne sont pas récentes. Elles existaient déjà sous la dynastie Ming (1368-1644), comme en témoigne un ouvrage récent (référence en bas de page). C’est ce qui ressort d’un article de André Laliberté (Professeur et directeur de recherche au Centre d’études des politiques étrangères et de sécurité CEPES, Université du Québec à Montréal) à propos d’un livre rédigé par Joanna Handlin Smith, qui est Directrice du Harvard Journal of Asiatic Studies, qui a étudié le comportement de plusieurs philanthropes.
« La crainte du désordre, les tragédies personnelles, le souci de maintenir la réputation de son clan familial constituent autant de facteurs les ayant poussés à aller dans cette voie. Il est néanmoins remarquable que ces individus aient agi de la sorte : ceux qui investissaient beaucoup d’énergie ou de ressources dans les activités caritatives, note Smith, couraient toujours le risque d’attiser les jalousies de leurs pairs."
Ces avancées sont aussi portées par certains pionniers. Après avoir frôlé la mort avec sa famille lors du tsunami de 2004, quand il était aux Maldives, l’acteur Jet Li, a pris conscience de la fragilité de la vie et des dégâts occasionnés par les catastrophes naturelles. Les statistiques parlent d’elles mêmes. En moyenne, chaque année, près de 200 millions de personnes sont touchées et près de 60 millions ont besoin d'aide. En 2005, le coût des sinistres enregistrés en auraient dépassé 2 milliards de dollars. A côté de ce problème endémique, Jet Li déplore également la situation des citadins chinois, qui ont acquis une certaine aisance, mais qui sont devenus esclaves des technologies.
C’est pourquoi il a créé en avril 2007 « One Foundation », dans le cadre d’un partenariat stratégique avec la Red Cross Society of China. Pour le lancement de son projet, Jet Li, qui est un champion en arts martiaux, a arrêté de tourner des films pendant un an. Il a même voyagé pendant deux ans pour étudier les méthodes de bienfaisance les plus efficaces, afin d'essayer de trouver un modèle qui pourrait marcher en Chine. One Foundation aide donc les entreprises à repérer des ONG crédibles et professionnelles. Nombreux sont les sponsors occidentaux qui interviennent en Chine : la NBA, Disneyland, JC Decaux, Google, Deloitte et BBDO.
Ayant tiré des leçons de leur passage à Pékin, Warren Buffet et Bill et Melinda Gates ont signé une Tribune (Giving back to society enriches us all) dans The Times of India du 20 février dernier pour indiquer que lors de leur visite à Dehli en mars 2011, ils viendraient aussi pour écouter ce que les philanthropes indiens ont à dire et découvrir leur savoir faire et leurs spécificités. “So we come not as preachers, but more like cheerleaders. And first and foremost, listeners. It will be an honor to meet with those families who will be able to join us next month in Delhi, to hear about their own thinking and to speak of the deep satisfaction we have derived from our work in philanthropy.”
Pour aller plus loin :
Chinese views on American philanthropy 29/09/2010
http://www.88-bar.com/2010/09/chinese-views-on-american-philanthropy/
Les chinois et la charité, une histoire vieille de plusieurs siècles par Agnès Czubinski 9 mars 2011
http://www.philanthropie.uqam.ca/fr/opinion/blogue/159-les-chinois-et-la-charite-une-histoire-vieille-de-plusieurs-siecles
La Croix. « La charité au menu d'un dîner de milliardaires chinois ». 29/09/2010
http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2441268&rubId=4079
Youphil. 07/03/2011. « Quand les riches Chinois découvrent la générosité »
http://www.youphil.com/fr/article/03595-philanthropie-chine-economie-mondiale-riche?ypcli=ano
Perspectives chinoises. La philanthropie en Chine au temps de la dynastie Ming Charity in Late MingChina mis en ligne le 30 juillet 2010
http://perspectiveschinoises.revues.org/5629
Références :
The Art of Doing Good : Charity in Late Ming China
Joanna Handlin Smith
Available worldwide
A Philip E. Lilienthal Book in Asian Studies
Hardcover, 424 pages
ISBN: 9780520253636
March 2009
$34.95, £24.95
Les Chinois se mobilisent pour aider le Japon frappé par un violent séisme
http://french.china.org.cn/foreign/txt/2011-03/18/content_22171920.htm
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