L’Allemagne et l’Italie ont renoncé haut et fort au nucléaire. Le travail de sensibilisation des ONG avait préparé le terrain. Mais, le fait qu’un pays aussi développé que le Japon n’ait pas tout prévu a constitué leur meilleur plaidoyer, sans compter la manque de transparence de Tepco et sa gestion à court terme.
Mais, il est difficile de savoir ce qu’auraient donné les appels aux changements des associations écologistes sans cet évènement brutal. En combien de temps auraient-elles obtenu cette conversion ? Le tsunami a d'ailleurs entraîné un changement de paradigme, l’action EDF Energies Nouvelles gagnant 26% depuis le début de l’année (EDF -14%, Areva -13%) pour un CAC 40 stable.
Des voix critiquent l’embourgeoisement des ONG, conséquence de leur professionnalisation et de leur insertion quasi-institutionnelle dans l’agenda international. Leur bureaucratisation marquerait un oubli des valeurs portées par leurs fondateurs. Comparé aux années 1970, le monde associatif aurait perdu sa niaque. De leur côté, les médias, qui étaient prêts à s’enflammer face à de nouvelles formes de protestation, satureraient. N’en jetez plus.
« Worryingly, in every major green group, managers, administrators, communicators and fundraisers outnumber campaigners and researchers. Too many staff have become obsessed with the process of running an organisation. Interminable meetings, not action, are the order of most days. All too often, fundraisers and PR teams, not campaigners, call the shots.”
C’est ainsi que s’exprime
Charles Secrett dans The Gardian cette semaine. Ce n’est pas un inconnu, puisqu’il a été directeur exécutif de Friends of the Earth England, Wales and Northern Ireland de 1993 à 2003.
Parmi ses fonctions actuelles, il est notamment au Board du Fonds Triodos Bank Renewable Energy et Vice-President du London Wildlife Trust. Sur le site de BP, il est indiqué que Charles Secrett collabore également à une commission consultative et de contrôle indépendante, qui a été mise en place pour surveiller les progrès du programme Targetneutral.
La plupart des grandes ONG environnementales, comme FoE, la RSPB (The Royal Society for the Protection of Birds), Greenpeace et le WWF, se seraient assoupies selon lui. Elles cocooneraient sur un matelas financier confortable, avec des budgets annuels de 100 millions de livres.
Alors qu’il est désormais possible selon lui de faire carrière dans ces associations, chose auparavant inenvisageable,
les activistes doivent retrouver leurs dents. La lutte contre certaines problématiques est engagée dans un contre la montre. Il en appelle à une Révolution pacifique des forces vives de la société, qui soit aussi puissante que la vague populaire, qui a fait tomber les masques dans les pays arabes.
“Today's activists regard once radical organisations as part of the NGO establishment: out-of-touch, ineffective and bureaucratic. The wheel has turned full circle. It is time to rethink and reorganise again.”
Le journaliste
Fabrice Nicolino, auteur de plusieurs livres notamment sur les bio-carburants et les pesticides, a fait le même constat. «
Pour ce que j’ai pu voir, Greenpeace n’est plus». Il se réfère à l’époque des pionniers, «
les cinglés de 1971» voyageant en haute mer en direction de l’Alaska à bord du Phyllis Cormack, pour y occuper le site des essais nucléaires américains. Fabrice Nicolino a fait partie quelques années du Conseil statutaire de Greenpeace France. Il est l’auteur d’un blog «
Planète sans visa».
« Ceux d’aujourd’hui gèrent la manne du fundraising, méthode éprouvée pour récolter du fric auprès de millions de donateurs. Certes, et ce n’est pas rien, Greenpeace ne dépend ni de l’État ni de l’industrie. Mais ses cadres supérieurs, souvent recrutés par petite annonce hors du mouvement écologiste, sont des cadres supérieurs. »
Dans la foulée de la Tribune accordée à Charles Secrett, le journaliste Damian Carrington a recueilli les réactions des associations mises en cause. Andy Atkins des FoE clame avoir obtenu une loi sur la préservation du climat.
Martin Harper, directeur de la conservation de RSPB, estime que les actions choc peuvent au bout d’un certain temps se fondre dans le bruit ambiant. La RSPB a choisi une autre voie en collaborant avec de nombreuses entreprises comme Cemex UK, The Co-operative Bank, the Famous Grouse, Chevron Upstream Europe et SABIC UK Petrochemicals.
« Les ONG qui réussissent de nos jours sont celles qui savent quand il faut être une épine dans le pied et quand il convient d’être un partenaire constructif. Pour remplir sa mission de conservation, la RSPB doit travailler étroitement sur de nombreux thèmes avec le gouvernement et l’industrie ».
Y percevant le souffre, plusieurs articles ont été publiés ces dernières semaines dans l’Express, Politis et Basta ! critiquant les partenariats corporate du WWF ou de Conservation International. Lafarge, BP et l’industrie des OGM sont accusés d’acheter la bienveillance des ONG.
Une vidéo a même été diffusée par le magazine anglais Don’t Panic (voir ci-dessous). Deux journalistes se sont fait passer pour des représentants de Lockheed Martin, une entreprise américaine du secteur de la défense. Ils voulaient démontrer qu’une association de préservation de l’environnement peut aider une entreprise à verdir son image.
L’indignation semble avoir repris du poil de la bête. La hache de guerre avait ainsi été enterrée chez Max Havelaar. Dans une interview au JDD en octobre 2010, Frans Van der Hoff, prêtre-ouvrier néerlandais, déclarait "Je pense désormais que protester, c’est proposer. »
Comme le label Max Havelaar patine en France, Novethic observe le recentrage de nombreux acteurs sur une parole plus politique. Christophe Roturier, Directeur délégué de Max Havelaar France, leur a indiqué que l’association va désormais cibler davantage ses interventions sur la nécessaire régulation des marchés agricoles contre les pratiques spéculatives.
Dans un autre domaine, celui de l’ESS, Tarik Ghezali, délégué général du Mouvement des entrepreneurs sociaux, considère que l’économie sociale et solidaire doit sortir de son « village gaulois » douillet et exotique et se lancer dans l’arène économique et politique, notamment à l’approche des élections. Dans une Tribune sur Youphil au titre évocateur « A quoi sert l’économie sociale et solidaire si elle ne dérange personne? », il indique que
« L’ESS doit retrouver le goût du débat, de l’audace, de la confrontation, au sens noble du terme. Pour gagner cette bataille des idées, il ne faut pas craindre de bousculer, de déranger. »
Clip du Mois de l'ESS 2010 par CNCRES
Pour Claude Alphandéry également, qui est à l'origine des Etats généraux de l'économie sociale et solidaire (ESS) qui se déroulent au Palais Brongniart à Paris, du 17 au 19 juin, l’ESS doit être décloisonnée.
L’engagement associatif n’est pas stérile. France Nature Environnement (FNE) se félicitait début juin qu’Eco-Emballages ait revu à la hausse la contribution des entreprises pour les inciter à une "réduction à la source" du nombre et du poids des emballages et améliorer le recyclage. « Elle accueille avec enthousiasme cette avancée qu’elle demande depuis 15 ans et rappelle la priorité qui doit être donnée à la prévention. »
Il y a eu aussi en 2010 aux Etats-Unis le succès de la Coalition internationale Publiez ce que vous payez - Publish what you pay (PWYP). Les entreprises d'extraction cotées à la Bourse américaine sont désormais tenues de rendre publiques les commissions qu’elles versent aux gouvernements pour exploiter leurs ressources. Plus récemment, une nouvelle ONG est aussi apparue, Finance Watch, qui se veut un garde-fou contre le lobby bancaire à Bruxelles.
Et Greenpeace vient de remporter une blitzkrieg contre Mattel en parodiant Barbie et Ken, son fiancé. Hasbro et Disney étaient aussi visés par ricochet. Ces gladiateurs de l’écologie dénonçaient la politique d’approvisionnement du marchand de jouet, qui aurait des incidences sur la déforestation en Indonésie. Un pays où selon le Los Angeles Times les deux géants APP et Asia Pacific Resources International (APRIL) sont aussi assiégés par Rainforest Action Network, Friends of the Earth, the World Wildlife Fund et plusieurs ONG locales.
La vidéo suivante a été traduite en …18 langues ! En réponse, Mattel a demandé à ses fournisseurs de cesser de s'approvisionner auprès d'APP durant six mois, le temps de mener une enquête.
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La scénarisation de ces vidéos dramatise le débat, rendant difficile aux entreprises visées de trouver la parade immédiate. Mais, ces messages viraux animent par leur buzz l’univers du web 2.0 et les actions de terrain réussissent encore à attirer la télévision. Comme elles donnent à voir, elles sont critiquées par les blogueurs ou les as du marketing au même titre qu’un court métrage ou une publicité, notamment sur leur créativité et la qualité du storytelling. Elles font l’objet d’études de cas dans les formations de communication de crise. Il s'agit d'un travail d'orfèvre pour participer d’une certaine manière à la société du spectacle sans dénaturer le message
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« Indignez-vous! » de Stéphane Hessel est dans l'air du temps. Il a notamment été acheté par plus de 300.000 indignados en Espagne et va être publié en Chine. Une aspiration émerge : il faut secouer le cocotier. Les critiques portées aux ONG ne sont pas nouvelles. Elles reflètent la diversité du monde associatif et des mouvements sociaux. Mais aussi des clivages.
L’âge d’or des combats associatifs, comme celui contre l’Exxon Valdez, subsiste sans doute dans l’imaginaire, comme on le retrouve de façon parodique dans le livre d’Iegor Gran « O.N.G ». Il y a une quête de sens. A chaque association de définir sans tabou les meilleures voies pour faire avancer le débat selon sa culture et ses moyens, avec du dialogue et des collectifs. Mais, l'effet de levier que représentent le décloisonnement et le monde des affaires est revendiqué par certaines associations comme une approche réaliste face à l'urgence.
En France, il n’y a visiblement pas de rupture de confiance vis-à-vis des ONG comme le montre le dernier baromètre France Générosité/Cerphi/La Croix. Si les Français donnent de plus en plus malgré la crise, c’est qu’ils ressentent l’ampleur des besoins et n’imaginent pas les associations vautrées dans l’opulence.
Pour aller plus loin :
Les deux articles du Guardian. 13 juin 2011
Environmental activism needs its own revolution to regain its teeth. 13.06.2011
http://www.guardian.co.uk/environment/2011/jun/13/environmental-activism-needs-revolution
Greenpeace and Friends of the Earth hit back over 'out-of-touch' criticism
http://www.guardian.co.uk/environment/2011/jun/13/greenpeace-foe-charles-secrett-criticism
Le point de vue de Fabrice Nicolino. Mai 2008
http://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=296
Christian Troubé se demande si les ONG humanitaires n’ont pas perdu leur âme. Une profession encore marquée par la culture judéo-chrétienne qui doit se métisser, réinvestir les mouvements sociaux et apporter des idées nouvelles.
« L’humanitaire, un business comme les autres ?» Collection Larousse/ A dire vrai. Mai 2009
Sur la dénonciation des partenariats associations/entreprises
Basta ! Comment les plus gros pollueurs de la planète « s’achètent » des organisations écologistes par Simon Gouin (15 juin 2011)
http://www.bastamag.net/article1550.html
L’Express. WWF et les entreprises, les liaisons dangereuses 10.06.2011
http://www.lexpress.fr/actualite/wwf-et-les-entreprises-les-liaisons-dangereuses_1001238.html
Politis. Lafarge bétonne sa RSE. 10.06.2011
http://www.politis.fr/Lafarge-betonne-sa-RSE,14501.html
NO LOCKHEED: what are we?
http://nolockheed.posterous.com/
Sur Mattel:
Communiqué de presse; Mattel Announces Sustainable Procurement Policy 10.06.2011
http://investor.shareholder.com/mattel/releasedetail.cfm?ReleaseID=583977
eReputation et gestion de crise
http://www.e-marketing.fr/Tribunes-Experts/eReputation-et-gestion-de-crise-Tribune175.htm
L’avis de Knowckers. Greenpeace préfère s’attaquer aux poupées Barbie qu’à BP. 16.06.2011
En se lançant dans une bataille contre Mattel, Greenpeace aurait choisi la facilité, alors que l’ONG serait restée beaucoup plus discrète pour dénoncer l’explosion de la plateforme de BP dans le Golfe du Mexique.
http://www.knowckers.org/2011/06/greenpeace-prefere-s%E2%80%99attaquer-aux-poupees-barbie-qu%E2%80%99a-bp/
L’avis de Blogoergosum : Greenpeace VS Mattel : peut mieux faire. 16.06.2011
http://www.blogoergosum.com/26735-amaury-hubault-greenpeace-vs-mattel-peut-mieux-faire
La campagne contre les emballages de Mattel succède à celle contre Nestlé l’an passé. Grignoter une barre chocolatée Kitkat reviendrait-il à tuer un orang-outang ? Le rapprochement se référait à l’utilisation par le géant agro-alimentaire d’huile de palme issue de la destruction des forêts tropicales et des tourbières indonésiennes, dans la fabrication de certains de ses produits.
Have a break ? par gpfrance
Sur le commerce équitable
Le JDD. 10.10.2010 Max Havelaar « La machette, le café et le goupillon »
http://www.lejdd.fr/Economie/Actualite/La-machette-le-cafe-et-le-goupillon-225946/
Novethic. Le commerce équitable n'échappe pas à la crise. 13.05.2011 http://www.novethic.fr/novethic/entreprises/pratiques_commerciales/produits/le_commerce_equitable_n_echappe_pas_crise/133846.jsp
Concernant des spécialistes du plaidoyer et de l’humour noir : L'incroyable vraie-fausse conférence des Yes Men en représentants de McDonald's et de l'OMC
http://www.ubest1.com/?page=video/26073/L-incroyable-vraie-fausse-conférence-des-Yes-Men-en-représentants-de-McDonald-s-et-de-l-OMC
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