Fondée en 1993, Oktos est une société d’études spécialisée dans la fidélisation et la prospection de clients BtoB ou BtoC. Elle est co-gérée par Pierre Lerouge (Centrale Paris) et Renaud de Beaucorps (IFG).
Oktos dispose d’une expertise dans l’agrégation et l’analyse des données (Data marketing). Des données publiques, comme la localisation géographique, peuvent être croisées avec celles détenues en interne par ses clients, comme par exemple les historiques d’achat pour une entreprise vendant des biens de consommation, comme les abonnements à des revues. La mise en perspective de toutes les données informatiques et statistiques permet de dessiner des groupes de personnes aux comportements identiques. De quoi imaginer des schémas prédictifs.
Société indépendante, Oktos s’intègre au sein de la chaîne des prestataires (agences, SSII, brokers, duplicateurs, call centers), dont le but est d’apporter un éclairage aux services marketing d’acteurs diversifiés (caritatif, presse, VPC…). Les applications sont nombreuses comme l’optimisation de la collecte de la taxe d’apprentissage. Ou dans une optique BtoB, connaître le train de vie d’une entreprise.
Renaud de Beaucorps a bien voulu répondre à mes questions concernant le secteur associatif.
Quelle est votre valeur ajoutée ?
RB : Les associations n’ont qu’une vision partielle de leurs donateurs. Ce sont les « données visibles » issues des bases de gestion : identité du donateur, son adresse et les dates et les montants de leurs derniers dons, ainsi dans certains cas de la cause choisie, lorsque l’ONG propose plusieurs options à soutenir.
Elles maîtrisent et hébergent en interne ou par des hébergeurs spécialisés (everial, Safig, Bisnode...) l’ensemble des historiques des transactions économiques ou pas entre leurs donateurs et eux sous toutes ses formes (dons, achats, pétitions, legs, PA, parrainages, demande d’informations, etc..). Dans les plans d’action de marketing direct, une grande partie de ces données ne seront utilisées comme critère de ciblage.
A ce stade, l’association n’en sait pas beaucoup plus : un même montant de don, par exemple 30€, peut en effet correspondre à des niveaux de revenus ou de patrimoine assez différents.
Chez Oktos, nous avons mis en place des algorithmes, qui intègre des données statistiques, qu’il faut aller chercher méthodiquement, et que nous appelons les « données invisibles ». Notamment celles provenant de l’IRIS. Ce dernier constitue la brique de base en matière de diffusion de données infra-communales. Il doit respecter des critères géographiques et démographiques et avoir des contours identifiables sans ambigüité et stables dans le temps.
A partir des données du recensement de l’INSEE, nous avons ainsi modélisé la France en 7 classes (et 37 sous-classes), comme la rurbanité pavillonnaire (environ 15% de la population, maisons et jardins proches urbains) ou encore le centro-urbanité (30% de la population, centres villes historiques chics). Cette segmentation permet d’isoler des groupes cohérents en fonction de nombreux critères : revenus, propriétaire ou locataire, endettement et permettant de fait d’enrichir, d’optimiser les modèles prédictifs issus des données liées à l’adresse.
A partir d’une adresse postale apparaissent des types de comportements de consommation ou de don.
La base de données de France Telecom apporte pour sa part d’autres types informations et de comportements. Nous nous intéressons par exemple à la durée de détention de la même ligne téléphonique fixe (son enracinement à son environnement), à la distinction habitat personnel ou collectif, à la possession d’un fax, à celle d’une ligne ADSL, etc.
Dans un pays comme la France, le prénom peut aussi fournir des indices surtout pour estimer son âge (logique du scoring prénom). L’existence d’une particule dans le nom de famille se traduit aussi souvent par un niveau de richesse, et un comportement socio-culturel au-dessus des moyennes identifiées par l’INSEE.
C’est le maillage et l’interconnection de toutes ces informations « brutes et recalculées », qui laissent entrevoir des profils pertinents pour aller au-delà d’un marketing de masse.
En quoi les associations ont-elles besoin d’affiner leurs connaissances des donateurs ?
RB : Les associations et les Fondations défendent l’intérêt général. Elles ratissent donc large pour assurer la pérennité de leurs actions à un moment où l’Etat fait des économies. Comme elles dépendent de la générosité des Français, les ONG doivent sans cesse renouveler leurs ressources.
Elles vont chercher bien sûr à fidéliser ceux qui leur font déjà confiance. Mais, il leur faut aussi chercher de nouveaux donateurs pour compenser l’érosion naturelle des fichiers.
Avant les crises financières et économiques, en appliquant les mêmes règles que celles des années précédentes, toutes les opérations de fundraising étaient rentables. Il n’était donc pas nécessaire de chercher à connaître précisément les causes de succès d’une campagne de levée de fonds. Les coûts associés à la collecte évoluaient dans certains cas moins vite que la collecte en elle-même. La notion de marge et les analyses des ratios étaient plus connues dans les services financiers que marketing des associations.
Pourtant, les opérations de fidélisation et de prospection dans leur globalité ont bien un coût : newsletters, mailing, achat de fichier comme celui des lecteurs de l’Express ou d’une société de la VPC, etc. Les volumes peuvent devenir rapidement significatifs : 10 messages/an à 100.000 donateurs actifs, cela fait 1 million de messages par an…Même si les associations échangent leurs fichiers volontiers pour élargir leur base prospect de manière peu coûteuse.
Or, l’environnement est devenu radicalement plus âpre. Il ne suffit plus de jeter ses filets à la mer pour les remplir. En absence de croissance économique, certaines campagnes de marketing associatives ont vu leur rendement chuter, notamment auprès des donateurs fidèles, alors que ces sympathisants constituent la cible la plus facile à atteindre.
En prospection téléphonique également, les taux de couverture ont baissé depuis 2 ans, si bien que de nombreuses associations de taille modestes ont abandonné provisoirement ce canal.
Certaines associations ont donc découvert à leurs dépens qu’elles ne peuvent plus ignorer les frais de collecte, afin de maintenir un rapport raisonnable entre le volume des dons et les coûts associés. D’autant plus que les médias s’intéressent de près à la part des frais marketing dans le budget global.
Les notions de marges ont fait leur apparition d’abord dans l’univers de la conquête, notamment dans le marketing téléphonique, où les taux de couverture sont plus difficiles à atteindre que dans l’univers de la fidélisation, où tout est rentable surtout dans l’univers des actifs 0-24 mois.
Dans cette veine, il ne suffit plus de s’adresser au « public », quelque peu anonyme, mais il faut toucher des individus dans leur diversité et de leur potentiel. Comme l’illustre les yeux doux du monde associatif pour « les ISF » cible stratégique et très sensible politiquement.
A ce titre, les agences de fundraising et de communication ont toujours joué un rôle vital pour informer les donateurs sur les missions de l’association, pour accroître sa notoriété, et faire grossir son fichier de sympathisants et de donateurs, comme par exemple sur les réseaux sociaux.
Actuellement, l’idée est d’adapter les messages par typologie des ménages ou par type de canaux (postal, téléphone, internet). Comme en mer, où les bateaux utilisés par les pêcheurs sont conçus en fonction de ce qu’ils veulent pêcher, des sardines ou du thon.
Quelles sont les données dont disposent les associations ?
RB : Le fichier d’une association, c’est le nerf de la guerre. Plus il est important, plus l’association pourra affiner sa stratégie. Encore faut-il pouvoir le faire parler.
Le critère de référence dans la profession est la récence, c’est-à-dire la durée écoulée depuis le dernier don à l’association. En effet c’est ce critère qui structure et définit la potentialité d’un donateur.
En gros, dans une campagne de fidélisation, 70 à 80% de la collecte provient habituellement de personnes ayant donné depuis moins de 12 mois, puis 10 à 15%, de donateurs anciens de 12 à 24 mois. Le solde est apporté par les donateurs de plus de 24 mois, qu’on qualifie d’« inactifs » contrairement aux précédents, baptisés d’ «actifs».
Plus la récence s’éloigne et moins le donateur va recevoir de messages. La probabilité de donner s’effondre souvent à partir de 18-24 mois, avec des variations suivant le type, la cause et la taille de l’association.
Les équipes du marketing doivent positionner leurs curseurs en tenant compte de certaines contraintes, comme les objectifs financiers, qui leurs sont imposés par leur direction, comme un budget marketing fixé sur une logique annuelle. Ces curseurs doivent être mis en face du potentiel disponible identifié, calculé avant chaque campagne, soit en privilégiant le volume, c’est-à-dire le chiffre d’affaires collecté, ou la marge réalisée.
Répondant à une autre logique mathématique que la récence, la grille de don est souvent adaptée en fonction du montant du dernier don (capacité de donner) pour la fidélisation et d’une façon «plus intuitive et empirique » pour la conquête. Maintenant grâce aux nouveaux outils mis en place par OKtos au service des principales agences du marché (score montant), on arrive à mieux adapter les grilles de don en fonction des potentiels mis en évidence par les notes de score sur les plans fichiers de prospection.
L’ensemble des données issues de l’informatique de l’association sont précieuses, mais Oktos, compte tenu de sa base de connaissances, est capable de segmenter les donateurs actifs (0-12 mois et 12-24 mois en plusieurs classes pour atténuer la prédominance de la récence et mettre en valeur d’autres critères comportementaux permettant de mieux identifier les populations à potentiel.
En période de basse mer, où certains écueils surgissent ou effleurent à peine, nous aidons nos partenaires à identifier les zones de non rentabilité.
Lorsque l’association souhaite optimiser son budget de fundraising, avec une vision à court et moyen terme, elle a ainsi l’opportunité de concentrer ses efforts, là où ses espérances sont les plus fortes pour un budget donné. Il est ainsi possible qu’il ne soit pas rentable de réactiver certains donateurs inactifs, lorsqu’on intègre le critère de la marge. Dans certains cas, il sera plus pertinent de chercher des prospects, même si la rentabilité de ces derniers n’est pas toujours immédiate.
Les ONG peuvent-elles être amenées à réorienter leurs efforts ?
RB : S’il existe des poches non rentables, les ONG doivent aussi repérer les meilleurs filons. Il peut se révéler judicieux d’investir des moyens financiers additionnels pour mieux toucher certains segments de donateurs potentiels. Par exemple, des donateurs CSP+ à relancer par téléphone, même s’ils n’ont pas donné suite à un mailing.
Très opportunément, la Fondation d’Auteuil emploie des coursiers à la fin de la période de déclaration à l’ISF, afin d’optimiser sa collecte. Elle échange ainsi physiquement des chèques contre des reçus fiscaux jusqu’à la dernière minute pour le plus grand bienfait des enfants qu’elle défend.
Ces segmentations se traduisent elles vraiment dans les chiffres ?
RB : Il existe un axe de la valeur. Moins de 5% des donateurs représentent plus de 30% de la collecte.
Au final, Oktos intervient comme un radiologue. Nous fournissons une photographie à l’instant T de la géographie et du potentiel des donateurs en France. Dans la foulée, les agences, dont nous sommes partenaires et qui veulent mettre la data au cœur de leur politique, vont pouvoir concevoir des stratégies adaptées pour mettre en valeur les points forts de l’association ou de la Fondation.
Ainsi, chaque maillon de la chaîne est susceptible d’apporter un levier supplémentaire.
Faut-il rémunérer les fundraisers aux résultats ?
RB : Ce n’est pas possible. De nombreux aléas peuvent influencer les donateurs, comme la situation économique et sociale ou certains évènements particulièrement dramatiques. Les Français peuvent ainsi se montrer exceptionnellement généreux en cas de chocs émotionnels, comme lors de la tragédie du tsunami. Ce type d’évènements imprévisibles génère des dons massifs pour un coût négligeable car ils sont spontanés. De plus, l’efficacité de la levée de fonds se mesure dans la durée
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