Christian Gollier, qui est Directeur général de la Toulouse School of Economics et co-auteur des 4ème et 5ème rapports du Giec est un ardent promoteur du principe pollueur-payeur. Il a publié aux PUF « le climat après la fin du mois » en mai 2019.
Pour lui, on ne peut pas compter sur une quelconque « main invisible » pour résoudre la question du réchauffement climatique. Il en va pourtant d’un devoir moral vis-à-vis des générations futures : les efforts qui nous sont demandés sont 20 fois inférieurs à ceux que devront fournir ces dernières en cas d’inaction de notre part.
Dans une approche incitative, Christian Gollier veut intégrer le coût des externalités dans les prix de production. Il part de l’exemple de la cuisson d’une pizza au feu de bois pour explorer de quelle manière prendre en compte et réduire la nocivité des émissions de particules fines. Pour lui, le plus simple est de taxer le bois de chauffage.
Le dispositif le plus universel pour toucher toutes les activités humaines polluantes serait, via un étalon unique, de taxer le carbone. Un prix qui s’impose à tous les acteurs et sans exemption. Celui-ci intègre à la fois les coûts de production et, surtout, le dommage climatique que sa consommation génère. Le prix envoie un signal facile à assimiler et susceptible de changer les comportements.
Des comportements contradictoires
Les COP accouchent selon lui les unes après les autres d’accords sans ambition. Mais, le passage à taxe carbone (aussi appelée en France contribution climat-énergie) est semée d’embuche, comme l’ont vécu Nicolas Sarkozy avec le Conseil Constitutionnel fin 2009, puis Emmanuel Macron avec les Gilets Jaunes.
I am glad that my friend @EmmanuelMacron and the protestors in Paris have agreed with the conclusion I reached two years ago. The Paris Agreement is fatally flawed because it raises the price of energy for responsible countries while whitewashing some of the worst polluters....
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) December 4, 2018
Lors de l’augmentation de 3 centimes de la taxe carbone début 2019, combinée à une augmentation du chèque énergie de 50€ au même moment, l’effet conjugué devait réduire le pouvoir d’achat des Français :
- de 20€ par an pour les 10% des ménages les plus pauvres
- et de 160€ par an pour les plus riches.
Un effort finalement assez modeste, mais qui est intervenu à un moment où le prix du diesel augmentait.
Pourtant, l’économiste s’étonne qu’au moment où la révolte s’organisait autour des ronds-points, une pétition géante était signée en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique (L’affaire du siècle).
Autre paradoxe, on attend beaucoup de l’Etat et des entreprises selon l’auteur, mais finalement nos dirigeants nous ressemblent. Et, les ménages sont aussi de gros émetteurs de CO2.
Quels sont les freins au changement ?
Ils sont multiples :
- Les individus attendent que ce soient les autres qui fassent les efforts. • Il n’y a pas de motivation intrinsèque de sauver l’environnement ;
- Les générations futures ne sont pas représentées. Nos engagements profiteront à des individus qui ne sont même pas encore nés ;
- Le pouvoir d’achat reste une priorité en France. « Remplacer une énergie fossile abondante et peu coûteuse par des EnR beaucoup plus chères ne sera une sinécure pour personne. Face à l’Allemagne, Churchill avait cet avantage de mobiliser son peuple face à un péril national et immédiat » ;
- La lutte contre les inégalités en France est rendue particulièrement complexe par la perception d’être perdant de la redistribution. Ce qui renforce le rejet de la taxe carbone. Or, « la taxe carbone augmente les inégalités si elle n’est pas accompagnée de compensations pour les bas revenus » ;
- Les taxes sont mal vues par les concitoyens, qui préfèrent les subventions ;
- Et, chez certains, il existe une confiance immodérée dans les progrès de nouvelles technologies, qui nous sauveraient du pire.
Pour Christian Gollier, il manquerait aussi un discours de vérité.
Depuis longtemps, on mentirait au peuple en prétendant que la transition énergétique est une opportunité formidable qui va nous enrichir, créer des emplois, réduire notre facture d’anergie, nous rendre notre indépendance énergétique.
Christian Gollier enfonce le clou : « La transition énergétique devra passer par un sacrifice, somme toute assez raisonnable si l’on s’y prend bien. »
Un outil indispensable :
Plutôt que de basculer dans la décroissance, la taxe favorise la sobriété énergétique, une décroissance sélective. Il s’agit de rendre les seuls biens et services générateurs d’externalités négatives plus sobres.
- La fiscalité écologique est une taxe incitative, pas une taxe de rendement. Elle permet au consommateur d’internaliser le dommage généré ;
- Ce serait la façon la moins couteuse et la plus directe d’atteindre nos objectifs climatique collectivement fixés.
- L’idée d’un prix universel du carbone est fondée sur le besoin d’aligner les intérêts privés avec l’intérêt collectif.
Des politiques publiques mal calibrées
Les politiques de lutte contre le changement climatique qui ne sont pas fondées sur le prix du carbone peuvent être incohérentes. L'auteur cite plusieurs exemples.
Pour accélérer l’adoption de l’énergie solaire, le gouvernement Fillon avait subventionné l’installation de panneaux photovoltaïques en garantissant pendant vingt ans un prix d'achat de l'électricité fournie aux particuliers qui s'en équipaient.
En 2009, ce prix était de 60 centimes par kWh. Pourtant, à l’époque, chaque kWh en Europe ne coutait que 6 centimes d’euros à produire et émettait 400 grammes de CO2, Avec des effets pervers. L’offre du gouvernement a provoqué une ruée sur l’or, au prix d’un gouffre financier : il représentait un coût additionnel de 54 centimes par kWh pour une économie de 400 grammes de CO2. On a demandé aux Français un sacrifice de 1.350€ par tonne de CO2 évitée.
De plus, les installations ont parfois été réalisées par des artisans débordés et peu scrupuleux, avec une longue file d’attente et des matériaux importés de Chine.
Une taxe avant tout incitative
Contrairement à un reproche qui a été émis par les Gilets Jaunes, qui avaient mis en avant que seule une petite partie de la taxe carbone était utilisée pour financer la transition écologique, l'économiste ne défend pas le postulat que les recettes publiques qu’elle génère soient nécessairement fléchées vers le financement de la transition écologique.
« Ce n’est pas son utilisation qui est écologique, mais son existence même. »
« Le prix du carbone poussera naturellement au renforcement des circuits courts, du télétravail, du covoiturage et à l’augmentation de la demande pour des véhicules plus sobres. »
En filigrane néanmoins, c’est aussi la question de « la légitimité de l’Etat à faire des choix éclairés pour la meilleure utilisation des moyens que lui concèdent les citoyens » qui se pose.
Un effort à portée de main
Certains économistes estiment que le bon prix du carbone serait de 50€ la tonne. Pour un Français qui émet 6 tonnes en moyenne par an, cela représente 300€ par an, soit environ 1% de son pouvoir d’achat.
Pour l’auteur :
- La fixation d'un prix au carbone, si possible à l'échelle mondiale, semble le meilleur moyen de réaliser la transition écologique.
- Accompagnée d’une taxe aux frontières pour éviter les « fuites de carbone ».
Pour rendre ce système désirable et efficace, il prône également :
- Le démantèlement de toutes les autres politiques climatiques, plus ou moins couteuses et parfois inefficaces, ce qui permettrait de dégager du pouvoir d'achat pour les consommateurs et de réduire la dépense publique.
- La mise en place de compensations massives sous forme de chèques verts et d’autres déductions des charges sociales sur les bas salaires.
Un livre toujours d’actualité : Face à la grogne agricole, Gabriel Attal vient d’annoncer, la fin de la trajectoire de hausse du gazole non routier (GNR) pour ce secteur. Une exemption qui fait des envieux du côté du bâtiment et les travaux publics, utilisateurs de ce type de carburant.
Cet ouvrage est disponible en grand format et en poche respectivement au prix de 19 et 10,50 euros.
Pour aller plus loin :Le climat ne peut être la variable d’ajustement de nos luttes sociales. https://t.co/zuODrKqPWO
— Christian Gollier (@CGollier) January 27, 2024
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