Le caractère gênant de certaines associations de plaidoyer pousse parfois les institutions mises en cause dans leurs retranchements. Ces dernières peuvent dès lors être tentées d'adopter des mesures extrêmes, même si ce genre de cas reste exceptionnel.
C’est notamment le cas en Belgique, où plusieurs ONG demandent à la justice belge d’enquêter sur les irrégularités commises par les services secrets colombiens sur leur territoire. Selon la CNCD, les faits se seraient déroulés lors du mandat du gouvernement de l’ex-Président Álvaro Uribe Vélez. La FIDH, Oxfam-Sol, le CNCD-11 11 11, Broederlijk Delen, le CIFCA, le CCAJAR et l’OIDHACO figurent parmi les ONG espionnées en Belgique. Le but de l’opération aurait été de les discréditer.
Au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, Greenpeace USA vient de déposer plainte contre deux grandes entreprises chimiques, leurs cabinets de relations publiques et plusieurs personnes pour espionnage industriel. Il s’agit de Dow Chemical et Sasol (ex Condea Vista), par le biais de leurs firmes de relations publiques, Dezenhall Ressources (Nichols Dezenhall à l'époque) et Ketchum. Ces dernières auraient engagé des détectives privés entre 1998 et 2000, par le truchement des services de la société Beckett Brown (BBI).
Greenpeace USA les accuse d’enregistrements téléphoniques illégaux, de la mise en place d’un dispositif de surveillance et de vol d'informations confidentielles. L’ONG travaillait notamment à l’époque sur une campagne concernant des populations menacées par la dioxine et d’autres polluants chimiques, autour du lac Charles, en Louisiane. Dans cette communauté, un groupe de citoyens locaux aurait été infiltré par les soins de BBI, un cabinet composé selon l’association d'anciens agents des services secrets et de policiers.
BBI et les firmes de relations publiques auraient également élargi leur espionnage au siège de Greenpeace à Washington, DC, où, pendant deux ans, ils auraient volé une masse de documents. De faux bénévoles auraient permis d’enregistrer les conversations téléphoniques et d’obtenir des codes d’accès.
Greenpeace a lancé une enquête sur ces manoeuvres après avoir été contactée par un journaliste en 2008. L’association, dont les poubelles auraient été régulièrement fouillées, a monté un dossier, pour étayer ses accusations. Les faits, qui sont anciens, sont désormais entre les mains de la Justice.
Les ONG, dont le discours est le plus virulent et qui mènent des actions spectaculaires sur le terrain, sont souvent craintes, non seulement par les entreprises, mais aussi par les Etats. Greenpeace France et Attac Suisse ont eu ainsi maille à partir dans des affaires récentes avec EDF (des poursuites sont actuellement engagées) et Nestlé.
Greenpeace est souvent prise pour cible. Un article (cité en annexe) de Business Week consacré à Eric Dezenhall datant de 2006 indiquait que Dezenhall Ressources, qui a été créée en 1987, a tissé des liens avec Public Interest Watch (PIW), une organisation à but non lucratif basée à Washington, et selon l’article largement financée par Exxon Mobil. Cette organisation aurait déposé plainte contre Greenpeace USA en 2003, l’accusant d’abuser de son statut d’organisation non imposable. Un coup d’épée dans l’eau, puisque les guerriers verts ont finalement conservé leurs avantages fiscaux.
Eric Dezenhall est un expert apprécié en communication de crise. Il a rédigé en 2007 un livre avec John Weber (Damage Control: Why Everything You Know About Crisis Management Is Wrong") qui tranche avec les conseils habituellement préconisés par les spécialistes de la gestion de crise. Face à une crise, il déconseille aux entreprises prises à parti d’adopter un profil bas.
Plutôt que de se battre la coulpe, un seul message : « Si vous pensez que vous êtes attaqué à tort, frapper fort et frapper le premier doit être votre option prioritaire». Il conseille donc une contre-attaque énergique : « if you’re explaining, you’re losing ». Il ne s’agit pas d’être aimé, mais d’être acquitté.
Dans une interview à Building Reporter en novembre 2007, il a précisé que « Le combat vigoureux de Microsoft dans la bataille anti-trust a davantage contribué à préserver sa réputation que le fait que Bill Gates cherche à attirer la sympathie en portant des polos ». Selon lui, les attaques contre Microsoft ont diminué lorsque l’entreprise a payé des think tanks comme the Cato Institute, Heritage Foundation, etc. Durant la campagne électorale de 1999-2000, l’éditeur de logiciel aurait même triplé sa contribution aux partis politiques et aux candidats par rapport aux trois périodes électorales précédentes combinées.
Pour le consultant, faire appel aux services de détectives privées peut permettre de mieux connaître le profil psychologique des attaquants et de reprendre la main en connaissant leurs points faibles. Dans l’affaire Monica Lewinski, Eric Dezenhall suggère que l’étreinte qui enserrait Bill Clinton s’est relâchée lorsqu’il a été question de dévoiler la vie privée de certains républicains. Une initiative de l’éditeur Larry Flynt, éditeur du magazine pornographique Hustler, qui a passé une publicité le 4 octobre 1998 dans l'édition dominicale du Washington Post offrant une prime d’un million de dollars à qui ferait éclater au grand jour l’hypocrisie des Républicains.
L’auteur tolère un bémol à sa stratégie : en cas de culpabilité manifeste, l’entreprise peut demander pardon. Dans tous les autres cas, l’attaque est la seule issue.
Pour adopter ces préceptes, mieux vaut un moral d’acier. Pour Thierry Libaert, ce genre de pratique, si elle est connue, peut se retourner contre son initiateur dans un « effet boomerang » en jetant de l’huile sur le feu et en lui donnant une caisse de résonance pire que le mal initial. Auteur de nombreux livres et articles sur la communication, Thierry Libaert est également enseignant en sciences de l'information et de la communication.
Sur le site de Communication sensible, il explique qu'«une entreprise qui placerait l’essentiel de sa gestion de crise dans la menace vers ses critiques, dans l’achat des plaintes auprès des requérants, dans le recours aux officines privées d’investigation, dans le rapport de force avec les médias, risquerait fort de voir s’éloigner toute issue de la crise».
Sans compter que les faits peuvent remonter à la surface après des années de retard. Et, que les procès durent parfois longtemps, qu'ils sont toujours incertains et qu'ils cristallisent l’attention des médias.
De plus, ce type d’initiative est condamnée par une autre partie prenante, les actionnaires. ACTARES se demandait en juin 2008 dans le cas de Nestlé si cette affaire constituait un cas isolé ou si c’était la pointe de l’iceberg. Basée à Fribourg, cette organisation, qui milite en faveur d’un actionnariat pour une économie durable, prônait même de compléter les codes de conduite des affaires des sociétés ainsi que la législation en vigueur.
Pour aller plus loin :
L'affaire présentée par Greenpeace USA
www.spygate.org
Note de lecture de Thierry Libaert. 2007, sur le livre : “Damage Control”
http://www.communication-sensible.com/articles/article0177.php
The Pit Bull of public relations» par Eamon Javers. Business Week. 17/04/2006 http://www.businessweek.com/magazine/content/06_16/b3980101.htm
Position de Dow
Dow indique sur son site, qu’il a déployé des efforts considérables pour réduire les émissions de dioxine.
http://www.dow.com/commitments/debates/dioxin/index.htm
L’interview d’Alain Juillet . Le Matin Dimanche. 31/01/2009
« Si l'éthique n'est pas forcément du côté des ONG, cela ne veut pas dire qu'elle soit de l'autre côté. Les torts sont partagés. Il faut juste prendre conscience que les choses sont plus complexes qu'il n'y parait. Rien n'est tout noir ou tout blanc: le monde est gris. »
http://www.lematin.ch/actu/suisse/alain-juillet-70-ong-payees-entreprises-77810
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