mardi 18 janvier 2011

Des entreprises plus riches que des pays malgré la crise






En août 2002, un classement avait été réalisé par les Nations Unies comparant le PIB généré par les Etats à la valeur ajoutée dégagée par les plus grandes entreprises. Cette étude mettait donc en relief la création de richesse sur 12 mois, mais pas le patrimoine ou l’actif net.

Il en ressortait que 29 des cent entités économiques les plus importantes du monde étaient des entreprises, dont la plus grosse, l'américaine ExxonMobil, se classait à l’époque devant de grands pays comme le Pakistan, le Pérou ou l’Algérie. A l’époque, cette montée en puissance des firmes transnationales était en progression, car selon la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement), elles n’étaient que 24 en 1990.

L’ONU avait pris comme base le principe de la « valeur ajoutée » (somme des bénéfices avant impôt, des salaires, des amortissements pour l'année 2000). ExxonMobil affichait alors une valeur ajoutée de 63 milliards de dollars. Parmi les autres entreprises de cette liste figuraient notamment de nombreux constructeurs automobiles comme General Motors (47), Ford (55e) et le japonais Toyota (59e). Le géant pétrolier français TotalFinaElf caracolait alors à la 74ème place.

Cette position dominante des grandes firmes ne peut que se traduire par une certaine influence, notamment du fait de la possibilité de choisir dans quels domaines et quels pays investir, du grand nombre de salariés de ces entreprises, de leur attractivité à l’embauche, de gestion de la fiscalité, des relations avec les autorités locales, sans compter la capacité de lobbying ou encore la tentation du chantage concernant les menaces sur l’emploi liées à l'étude de la mise en œuvre de certaines réglementations ou du retrait du circuit d'un médicament.

C’est pourquoi cette publication de la CNUCED avait à l’époque largement inspiré la littérature, notamment chez les militants altermondialistes. Marc Delepouve, membre du bureau national d’Attac avait ainsi indiqué que « Cette liste montre bien que les entreprises ont de plus en plus de pouvoir. Elles n’ont même pas besoin de se constituer en lobby pour faire pression sur les Etats puisque leurs valeur ajoutée sont parfois supérieures au PIB des Etats ».

Dix ans plus tard, les choses ont évolué, puisque cette liste des 100 plus grosses entités économiques s’est renouvelée à hauteur de 24%. Exxon Mobil a reculé à la 53ème place, tandis que la crise a balayé les constructeurs automobiles. L’exercice 2009 est intéressant à observer, car il s’inscrit longtemps après l’éclatement de la bulle Internet et dans la foulée de la disparition de Lehman Brothers.

Voici la liste des cent entités économiques les plus importantes du monde pour l'année 2009 selon mes estimations, sauf erreurs et omissions. Ces entités sont classées selon leur importance en 2009 (rang). Le chiffre qui suit le nom de l’entité est en milliards de dollars (PIB nominal pour les Etats, valeur ajoutée estimée pour les entreprises), puis suit sa position dans l’étude de la CNUCED et la variation de son rang sur la période. Le signe X indique une entrée dans le classement.

Rang

Nom

Données chiffrées

Position en 2002

Variation

1

Etats-Unis

14256

1

0

2

Japon


5068


2


0


3

Chine


4909

6


3


4

Allemagne

3353

3

-1

5

France

2676

5

0

6

Royaume-Uni

2184

4

-2

7

Italie

2118

7

0

8

Russie

2110

18

10

9

Brésil

2110

9

0

10

Espagne

1464

11

1

11

Canada

1336

8

-3

12

Inde

1236

13

1

13

Australie

997

14

1

14

Mexique

875

10

-4

15

Corée du Sud

833

12

-3

16

Pays-Bas

795

15

-1

17

Turquie

615

22

5

18

Indonésie

539

29

11

19

Suisse

495

19

0

20

Belgique

470

21

1

21

Pologne

430

28

7

22

Suède

405

20

-2

23

Norvège

383

27

4

24

Autriche

382

23

-1

25

Taïwan

379

16

-9

26

Arabie Saoudite

370

24

-2

27

Venezuela

337

33

6

28

Grèce

331

34

6

29

Iran

330

37

8

30

Argentine

310

17

-13

31

Danemark

309

25

-6

32

Afrique du Sud

287

30

-2

33

Thaïlande

264

31

-2

34

Finlande

238

32

-2

35

Emirats Arabes Unis

230

52

17

36

Colombie

229

42

6

37

Portugal

228

36

-1

38

Irlande

228

39

1

39

Hong Kong

211

26

-13

40

République Tchèque

195

51

11

41

Israël

195

35

-6

42

Malaisie

191

41

-1

43

Egypte

188

38

-5

44

Singapour

177

40

-4

45

Nigéria

173

57

12

46

Pakistan

167

46

0

47

Chili

162

44

-3

48

Roumanie

162

61

13

49

Philippines

161

43

-6

50

Algérie

141

49

-1

51

Hongrie

129

54

3

52

Pérou

127

48

-4

53

Exxon Mobil

125

45

-8

54

Nouvelle Zélande

118

50

-4

55

Ukraine

116

64

9

56

Koweït

111

60

4

57

Kazakhstan

109

92

35

58

Wal-Mart

104

69

11

59

Bangladesh

95

53

-6

60

Vietnam

91

66

6

61

Maroc

91

63

2

62

Slovaquie

88

86

24

63

Qatar

83,9

x

x

64

General Electric

77,8

58

-6

65

Petrochina

77

x

x

66

ATT

72,6

90

24

67

Bank of America

72,4

x

x

68

Chevron

72

x

x

69

Nestlé

69,2

x

x

70

Angola

68,8

x

x

71

JP Morgan Chase

68,4

x

x

72

Irak

65,8

x

x

73

Nippon Telegraph

65,7

x

x

74

Verizon

63,5

75

1

75

Croatie

63,2

87

12

76

China Mobile

62,6

x

x

77

Libye

60,4

67

-10

78

Equateur

57,3

x

x

79

Soudan

54,7

x

x

80

Emirat d'Oman

53,4

79

-1

81

Total

53,3

74

-7

82

Gazprom

52,9

x

x

83

Syrie

52,5

98

15

84

Luxembourg

51,7

89

5

85

Sinopec

51,9

x

x

86

GDF Suez

50,1

x

x

87

Slovénie

49,2

93

6

88

Royal Dutch Shell

49,8

62

-26

89

Biélorussie

49

x

x

90

BP

48,6

68

-22

91

Royal Bank of Scotland

48,5

x

x

92

Bulgarie

47,1

x

x

93

ICBC

46,8

x

x

94

République Dominicaine

46,7

83

-11

95

Microsoft

46,3

x

x

96

Statoil

44,4

x

x

97

IBM

43,8

70

-27

98

Johnson & Johnson

43,5

x

x

99

Azerbaïdjan

43,1

x

x

100

Serbie

42,9

x

x


Les multinationales ont continué à se développer de manière profitable, malgré une activité en berne en 2009. La dernière entreprise classée de 2000 dégageait une valeur ajoutée de 17 milliards de dollars, aujourd’hui, en bas de tableau, c’est 43 milliards de dollars, ce qui représente un changement d’échelle, même en tenant compte de l’inflation.

En outre, la valeur ajoutée dégagée par Exxon Mobil en 2008 s’élevait à 190 milliards de dollars, c'est-à-dire que la firme pétrolière se situait il y a 2 ans environ en 42ème position, mieux qu’en 2000. Le secteur pétrolier est par nature assez volatile.

Parmi les entités listées ne figurent aujourd’hui que 21 entreprises, dont la moitié dans le secteur très lucratif de l’énergie. Ces 21 firmes génèrent une valeur ajoutée de plus de 1.500 milliards de dollars, équivalent au PIB de l’Espagne. En fait, durant cette dernière décennie, la croissance de certains Etats, notamment dans les Brics, a été très élevée. Les grandes multinationales, bien qu’elles aient cherché à tirer leur épingle du jeu dans les pays émergents, n’ont pas connu un essor aussi rapide, compte tenu de leur base élevée initiale dans des pays mûrs. Leurs positions se sont donc légèrement érodées en 10 ans au profit des Etats.

La quasi-totalité des multinationales sont issues des 5 économies les plus puissantes, à part Nestlé et les mastodontes russes évoluant dans l’énergie. Les champions nationaux des Brics commencent à rattraper leur retard, notamment Petrochina, Sinopec ou China Mobile. Nous n’avons pas réussi à trouver les données financières de State Grid. Pour sa part, Petrobras, la première entreprise brésilienne, pourrait bientôt rentrer dans le classement.

Du point de vue des associations de plaidoyer, on comprend mieux leur focalisation sur des secteurs ayant un fort impact comme le pétrole et la finance. Le niveau très élevé des profits dans certains métiers pourrait cacher une forme de rente, voire de "prédation", comme le pense Jean Peyrelevade pour le système bancaire. C’est bien son analyse dans le dernier Rapport Moral sur l’Argent dans le Monde 2010.

D’un point de vue éthique, ces groupes géants sont aussi susceptibles de perdre la mesure, notamment en termes de rémunération, tandis que les inégalités ont du mal à reculer dans le monde. La question est de savoir à quels stakeholders profitent les bénéfices, en dehors bien sûr des actionnaires et de l’Etat, qui prélève la TVA. C’est ainsi le débat sur le partage de la valeur ajoutée.

Néanmoins, la forte progression des profits sur 10 ans de nombreuses multinationales démontre également que les entreprises créent de la valeur. Les firmes constituent le principal facteur de création de richesses dans le monde. La croissance économique dans les Brics est visiblement favorisée par l’essor de son tissu industriel et financier.

A ce titre, les multinationales constituent de gros effets de levier pour des ONG, qui nouent des partenariats. Elles sont de puissants bailleurs de fonds potentiels (partenariat, financement de la recherche, ouverture de Chaires, etc.), souvent à travers de Fondations. Il est aussi pertinent de pousser une multinationale à modifier son comportement que de sensibiliser un pays tout entier. Certaines firmes commencent aussi à s’intéresser au bas de la pyramide.

Face à ces mastodontes, le secteur associatif ne peut pas aligner de tels chiffres, même en tentant de chiffrer la valeur réelle du bénévolat. Seule la Fondation Bill Gates se distingue par la taille de ses réserves et sa capacité d’influence. Mais, elle est elle-même issue indirectement du monde des affaires, via la personnalité de ses fondateurs.

Annexes :

Pays figurant dans le classement de la CNUCED ayant le plus progressé :

Russie, Kazakhstan, Emirats Arabes Unis, Slovaquie, Chine, Ukraine, Indonésie, Brésil, Croatie, Syrie, Turquie, le Vietnam, le Nigéria, la Hongrie et le Koweït.

Entreprises figurant dans le classement de la CNUCED ayant enregistré la plus forte progression de valeur ajoutée en %:

Wal Mart, ATT (grâce à une fusion) et Verizon.

Les entrées

15 entreprises rentrées dans le classement 2009:

Bank of America, Petrochina, Nestlé, Chevron, JP MorganChase, Nippon Telegraph, China Mobile, GazProm, GDF Suez, Royal Bank of Scotland, ICBC, Microsoft, Statoil, Johnson & Johnson et Sinopec.

NB : En 2002, la CNUCED ne semblait pas avoir étudié la valeur ajoutée des banques et des cies d’assurance

9 nouveaux pays accèdent au classement :

Le Qatar, l’Angola, l’Irak, l’Equateur,le Soudan, la Biélorussie, la Bulgarie, l’Azerbaïdjan et la Serbie.

Les sorties :

20 Entreprises sorties du classement 2009:

(ancienne position entre parenthèses):

General Motors (47),

Ford Motor (55),

DaimlerChrysler (56),

Toyota Motor (59),

Siemens (65),

Volkswagen (71),

Hitachi Ltd (73),

Panasonic (76),

Mitsui & Co (77),

Eon (78),

Sony (80),

Mitsubishi Motor (81),

Philip Morris (85),

Itochu Corp (91),

Honda Motor (94),

ENI Spa (95),

Nissan Motors (96),

Toshiba Corp (97),

GlaxoSmithKline (99)

et BT Group (100).

4 pays sortis du classement :

(ancienne position entre parenthèse)

Cuba (72),

l’Uruguay (82),

la Tunisie (84)

et le Guatemala (88).


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Du fait de la stagnation économique qui perdure depuis des décennies, le Japon sera détrôné par l’Allemagne cette année et relégué à la quatrième place dans le classement des plus grandes économies mondiales par leur PIB.

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