jeudi 20 septembre 2012

Faut-il craindre l’intrusion de Goldman Sachs dans l’impact investing?

Une partie de la presse américaine s’est enflammée cet été, lorsque Goldman Sachs a investi 9,6 millions de dollars dans un projet social de la ville de New York. Certains ont tiré la sonnette d’alarme mettant en avant des velléités hégémoniques d’un groupe à la réputation sulfureuse. La haute finance menacerait les fondements d’un champ d’activités jusqu’ici relativement épargné par le lucre. 

Pourtant, le programme auquel participe GS est consensuel dans la mesure où son but est de réduire la récidive de jeunes défavorisés vivant en milieu carcéral. Ce sont des adolescents enfermés à Rikers Island, l’une des plus grandes maisons d’arrêt des Etats-Unis, située à New York.

La prise en charge de ces détenus mouline dans le vide, puisque la moitié de ces jeunes hommes (16-18 ans) sont renvoyés en prison dans l’année suivant leur libération de Rikers.




Le prêt couvre les frais de fonctionnement de ce projet, qui s’étale sur 4 ans. Deux associations, Osborne Association et les Friends of Island Academy, vont déployer un projet éducatif, qui va toucher chaque année environ 3.000 adolescents. Elles seront supervisées par MDRC . Manpower Demonstration Research Corporation est spécialisée depuis 1974 dans l’implémentation de nouvelles approches dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités. C’est MDRC qui emprunte auprès de Goldman Sachs.

Financièrement, ce système repose sur des « social impact bonds » (SIB).

Ce sont des sortes de prêts solidaires dont les intérêts sont calculés à leur échéance en fonction d’indicateurs de performance définis au départ (pay-for-success bonds). L’idée sous jacente est non seulement de ne pas puiser dans la cassette de l’Etat, mais de chercher des solutions innovantes pour réussir, là où les services publics ont baissé les bras.

Cette petite vidéo en anglais explique le mécanisme des SIB.

Dans le cas de cette prison, qui a accueilli un célèbre homme politique français, tout est prévu. Pour éviter toute tentation de distorsion, le taux de récidive sera calculé par un tiers de confiance. La sélection des associations est aussi déterminante pour l’investisseur.

Dans le détail, Goldman Sachs sera récompensé selon la grille suivante :

  • Si la récidive de la population cible chute de 10%, Goldman Sachs retrouvera l’intégralité de ses fonds. C’est le point mort. 
  • Si elle baisse davantage, ce qui est le but recherché, la banque pourrait gagner jusqu’à 2,1 millions de dollars, soit un gain de 22%. Cela correspond à un rendement annuel de 5% environ. 
  • En cas de mauvais résultats, le groupe financier pourrait perdre jusqu’à 2,4 millions de dollars. 
Originalité du cas New Yorkais, c’est la fondation personnelle de Michael Bloomberg, qui viabilise le montage.

  • Bloomberg Philanthropies s’est en effet portée garante de MDRC à travers un prêt de 7,2 millions de dollars. Ce qui permettra à cet organisme à but non lucratif de rembourser les sommes dues à Goldman Sachs en cas d’échec. 
  • A l’opposé, si le programme est concluant, la banque sera payée directement par le Department of Correction, mais qui pour sa part aura bénéficié d’une baisse de ses charges, du fait d’un nombre plus faible de prisonniers à entretenir. 
  • Dans ce dernier cas, MDRC pourra alors réutiliser les fonds qui lui ont été confiés par Bloomberg Philanthropies pour une autre opération de social impact bonds. Il s’agit donc aussi d’amorcer la pompe pour d’éventuelles réplications. 
Michael R. Bloomberg, Maire de New York, veut embarquer le secteur privé dans le financement de causes d’intérêt général. A condition que tout s’organise autour d’objectifs concrets et quantifiables. Le modèle est win/win.



Cité par le New York Times, il explique que :

« Les social impact bonds peuvent faire gagner de l’argent aux investisseurs, mais ce sont les citoyens et les contribuables qui en seront les principaux bénéficiaires. » 

Graphique ci-dessus tiré du site Social Finance.

Même si le montant du deal est faible pour un groupe financier qui capitalise 59 milliards de dollars, il s’agit d’une opération prestigieuse pour Goldman Sachs, dont le blason a perdu singulièrement de son lustre. L’étoile noire de Wall Street vient encore début septembre de faire l’objet d’un documentaire très fouillé sur Arte : "La banque qui dirige le monde », une enquête de Jérôme Fritel et Marc Roche.

Pour Michael Belinsky, fondateur d’Instiglio Inc, un social business, et professeur assistant à Harvard, on assiste dans le financement solidaire à l’apparition d’une nouvelle classe d’actifs. Cette opération suscite la curiosité des cadors de la finance.

McKinsey ne s’y trompe pas, puisqu’il a publié récemment un rapport “From Potential to Action: Bringing Social Impact Bonds to the U.S. disponible en ligne

Compte tenu des outils d’analyse de risques en possession des banques de marché, Michael Belinsky se demande même si Wall Street ne dispose pas d’un avantage certain pour évaluer au mieux ce genre de projets. Quitte bien sûr à en supporter aussi les pertes éventuelles. Rares seraient les acteurs capables de porter un large portefeuille de risques sociaux si ce type de montages innovants se multipliait.

A ce titre, les SIB de la prison de Peterborough au Royaume Uni ont été souscrits en octobre 2010 à hauteur de 5 millions de livres par une poignée de Fondations (dont Rockefeller Foundation) et des individus très fortunés. Autant d’intervenants avisés, mais « traditionnels » dans l’univers de la philanthropie. Sur ce point, Rikers Island marquerait une rupture avec l’entrée en lice d’une nouvelle partie prenante, symbole du  capitalisme et expert en modélisation.

D’où dans le meilleur des cas, l’espoir de financer demain des projets sociaux plus complexes ou éventuellement plus risqués, qui seraient sinon ignorés. La montée en puissance des SIB pourrait aussi conduire à une meilleure gestion de l’action publique en écartant certains programmes sociaux qui n’ont pas fait leurs preuves.

Reste à savoir si les SIB vont être contaminées par certains biais connus des marchés financiers : court termisme, créativité financière débridée, appât du gain (greed), spéculation...



Ce qui serait une source d’instabilité et d’incompréhension pour des millions d’investisseurs et de bénéficiaires potentiels (ex : la réinsertion des SDF).



Dans l’immédiat, les caisses publiques sonnent creux et le secteur associatif manque de carburant. Rien ne se fera sans argent frais.

A ce titre, l’intervention de Goldman Sachs ne constitue finalement qu'une demi-surprise. Surtout, sur le côté social, Michael Bloomberg veille au grain. Et ce sont des associations de terrain qui tiennent les rênes ainsi que le tiers de confiance.

Le projet Rikers Island sera sans conteste observé de près. Malgré l’opposition du Congrès, l’Administration Obama a elle aussi prévu de lancer quelques projets pilotes à hauteur de 100 millions de dollars, en particulier au sein des Départements du Travail et de la Justice.

Vidéo suivante : The Social Impact Bond à la prison de Peterborough (UK). Lancé en 2010, ce programme n’est pas encore arrivé à son terme.
The Social Impact Bond from Be Inspired Films on Vimeo.

Pour aller plus loin : 

Sur ce blog : 

Wall Street aide les plus démunis. La Fondation Robin Hood. Mai 2009 
http://ong-entreprise.blogspot.fr/2009/05/wall-street-aide-ses-demunis.html 

Esther Duflot analyse les politiques de réduction de la pauvreté. Janvier 2010 
http://ong-entreprise.blogspot.fr/2010/01/esther-duflo-encourage-lexperimentation.html 

Moraliser la City
 http://ong-entreprise.blogspot.fr/2011/09/des-ong-et-une-coalition-dinvestisseurs.html 

Par ailleurs :

 Le point de vue de Goldman Sachs 
Alicia Glen, head of the Urban Investment Group at Goldman Sachs, discusses the firm's commitment to "social impact investing"–the idea of leveraging private sector capital to finance public social services. 

Standford Social Innovation Review: 
Private Investment in Social Impact Bonds. 08/08/2012 
Michael Belinsky is a founding partner at Instiglio, Inc and a teaching assistant at Harvard. He holds a Master in Public Policy from Harvard Kennedy School. 
http://www.ssireview.org/blog/entry/private_investment_in_social_impact_bonds 

Wharton School of the University of Pennsylvania.
 “Social Impact Bonds: Can a Market Prescription Cure Social Ills?” 12/09/2012 

Fondation Bloomberg
Pour l’heure, Mike Bloomberg a déjà donné plus de 2,4 milliards de dollars à une grande variété de causes et d’organisations. En 2011, Bloomberg Philanthropies a distribué 330 millions de dollars, ce qui place “Mike” dans le Top5 des plus grands donateurs américains, un classement établi par The Chronicle of Philanthropy.

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