lundi 20 avril 2015

Vice ou Puritanisme : qui rapporte le plus ?

Des pans entiers de l’économie sont associés depuis de siècles au pêché, comme le jeu, la pornographie, l’alcool, le tabac ou encore les armes. 
Bien que toutes ces activités soient parfaitement légales, leurs détracteurs se basent sur des critères moraux, sanitaires ou sociaux. 

Là où le bât blesse, c’est que si le crime ne paye pas, le vice rapporte. 

Il n’y qu’à voir la frénésie des joueurs dans un casino, qui repartent à poil pour avoir oublié que les algorithmes leur laissent peu d’espoirs de gains sur un plan statistique.

Que dit la recherche ?

Un ouvrage de Dan Ahrens publié en 2007 met même les pieds dans le plat avec son titre : "Investing in Vice: The Recession-Proof Portfolio of Booze, Bets, Bombs, and Butts ".

Ce qui peut se traduire ainsi « Un portefeuille à l’abri de la crise : des boissons alcoolisées, des paris, des bombes et du cul».


Il tente de convaincre les investisseurs de miser sur les travers de l’espèce humaine, l’hédonisme n’étant pas prêt de disparaître.

Publié en février, le « Yearbook » de Crédit Suisse, rédigé par trois chercheurs de la London Business School, a montré à partir de données boursières de longue durée que :
  • le tabac affiche la meilleure performance sectorielle aux Etats-Unis depuis 1900 avec un gain annualisé de 14,6 % 
  • et que l'alcool s'illustre au Royaume-Uni avec un gain annualisé de 11,5%. 
  • le secteur des boissons aux Etats-Unis sur 115 ans fait moins bien, en raison d’un passage à vide pendant la Prohibition de 1920 et 1933. 
 Des investisseurs satisfaits : 

Le Crédit Suisse a comparé les performances d’univers d’investissement diamétralement opposés,
  • avec d’un côté un fond parfaitement cynique : le « Vice Fund », qui investit uniquement dans le tabac, l'alcool, les jeux ou encore l'armement. 
  • et de l’autre, un fond socialement responsable (ISR) et soucieux de l’environnement. 

Depuis 2002, dividendes réinvestis (cumulative returns),
  • la performance du « Vice Fund » parle d’elle-même : (10,000$ investis en 2002 sont devenus 33,655$ début 2015, malgré la dernière crise financière). 
  • basé sur ces critères éthiques, le Vanguard Ftse Social Index Fund fait moins bien: USD 10,000 devenant USD 26,788 
  • durant cette période, le SP500 a dégagé une performance se situant entre ces 2 fonds. 

Une surperformance logique ?
  • les sociétés qui misent sur le « péché » bénéficient d'une demande robuste : 
    • des consommateurs parfois dépendants.
    •  le manque de perspectives lié à un environnement économique déprimé peut entraîner chez les consommateurs des besoins de se détendre à tout prix en suivant leurs penchants les « plus vils ». 
  • Le caractère belliqueux de l’espèce humaine, une situation géopolitique tendue malgré la fin de la Guerre Froide, un sentiment d’insécurité. 

Pour Gerald Sullivan, le gérant du fond, ces valeurs présentent aussi d’autres atouts :
  1.  Présentes dans le monde entier, elles profitent à plein de l’essor des pays émergents, 
  2. Elles comportent des barrières à l'entrée, 
  3. La hausse du prix de leurs produits ne fait pas forcément baisser les ventes : c’est le fameux «pricing power». 
  4. Elles génèrent beaucoup de cash-flow et versent des dividendes supérieurs aux autres secteurs. 
On a aussi souvent accusé l’industrie du vice d’employer la manière forte pour protéger sa rente ou s’ouvrir des marchés, comme actuellement Phillip Morris en Uruguay.

Certains traits sont mis en avant :
  •  des rapports parfois privilégiés avec les autorités politiques (ex. Club de fumeurs de cigare) 
  • le financement de la communauté scientifique pour obtenir des études complaisantes. 
  • le lobbying pour empêcher l’érection de normes moins favorables ou de nouvelles taxes. 
  • et, cerise sur le gâteau, elles ont les reins assez solides pour payer, le cas échéant, les amendes, lorsque les procès aboutissent.


En 2012, la National Rifle Association Of America Political Victory Fund aurait versé 9,8 millions de dollars pour ne pas faire réélire Obama.

Contre exemples :

Le travail de la London Business School est intéressant. Toutefois, il faut se méfier des martingales.

En premier lieu, le Vice Fund représente un encours inférieur à 300 millions de dollars, une goutte d’eau par rapport à ce que pèse l’ISR.

En second lieu, une entreprise du péché peut aussi être mal gérée ou voir surgir de nouveaux rivaux.

Plusieurs casinos sont passés près de la faillite ces dernières années aux Etats-Unis, en raison de leur endettement excessif, de la concurrence asiatique et des paris en ligne, comme le Las Vegas Sands.

Et, certains fonds ISR dégagent des performances enviables.

De nombreux gérants ont ainsi évité d’investir dans une entreprise comme BP avant 2010, qui dans son secteur commençait à avoir mauvaise réputation. BP fournit un bon exemple d’une industrie risquée, même si le secteur de l’énergie n’est pas considéré comme vicieux par nature.

En effet, BP a été reconnue responsable de l’explosion d’une plateforme pétrolière en Floride en avril 2010 et du décès de plusieurs employés. La compagnie a été convaincue d’un manquement aux conditions de sécurité.

Son cours s’est effondré à l’époque dans des volumes considérables. L’action du géant britannique n’a d’ailleurs jamais retrouvé ses niveaux d’avant Deepwater Horizon.


Dans ce cas, l’Etat américain n’a pas hésité pas à se servir de son bras séculier pour imposer sa vision de la Justice et obtenir des réparations. Certaines banques européennes « pécheresses » ont eu aussi à s’y frotter.

Pour aller plus loin :

Un péché à dimension variable

La sin industry rejoint peu ou prou certains des « 7 péchés capitaux » de la doctrine catholique comme la colère, la luxure, l’avarice (amour de l’argent) ou la gloutonnerie (gourmandise, ivrognerie).

On leur oppose notamment la chasteté ou la tempérance, cette dernière vertu étant justement à la base des Alcooliques anonymes.

Néanmoins, le vice est une notion fluctuante :
  • Les Européens sont ainsi plus réticents que les Américains à investir leur épargne dans le «complexe militaro-industriel ». 
  • Le port d’arme est un droit constitutionnel aux Etats-Unis. 
  • Si les grands contrats d’armement passent par la puissance publique, faut-il parler dans ce cas d’un péché d’Etat ? 
  • Enfin, le tabac n’a été identifié comme un produit risqué aux Etats-Unis que tardivement, dans les années 60. 
  • Certains Etats américains ont légalisé récemment la consommation de cannabis. Gerry Sullivan, gérant du Vice Fund, pense d’ailleurs que certains géants du tabac vont devenir les « Budweiser de la marijuana ». 
  • En se basant sur l’addiction, le Vice Fund pourrait également se diversifier dans le café (Starbucks) et la téléphonie mobile. 
Face à la mondialisation, qui impacte la société, la liste des péchés combattus par l'Eglise catholique se serait allongée en 2008, avec
  • la consommation de drogues, 
  • les manipulations génétiques, 
  • la pollution, 
  • et les injustices économiques. 
Mgr Girotti, régent de la Pénitencerie apostolique, un corps du Vatican qui rend des décisions sur des sujets de moralité et qui attribue des absolutions, a ainsi déclaré :
"Alors que le péché concernait jusqu'à présent plutôt l'individu, aujourd'hui, il a une résonance sociale, en raison de la mondialisation. L'accroissement des différences sociales et économiques entre les riches et les pauvres responsable d'une insupportable injustice sociale »

Etude citée:

Crédit Suisse :  
Responsible Investing: Does It Pay to Be "Bad"? by Elroy Dimson, Paul Marsh and Mike Staunton of London Business School,
https://www.credit-suisse.com/ch/en/news-and-expertise/research/credit-suisse-research-institute/news-and-videos.article.html/article/pwp/news-and-expertise/2015/03/en/responsible-investing-does-it-pay-to-be-bad.html

Un rapport de la Cass Business School de Londres,
rédigé par Pawel Bilinski et Jiri Novak, montre que les dirigeants d’ «entreprises du péché » sont en général mieux payés que leurs pairs : « The Compensation Premium in “Sin” Industries »
http://www.cassknowledge.com/research/article/compensation-premium-sin-industries-tobacco-alcohol-and-gambling

Les origines de l’ISR
http://ong-entreprise.blogspot.fr/2011/07/les-origines-de-lisr-sont-le-fruit-dun.html

Relire le livre de  Nicole Notat
http://ong-entreprise.blogspot.fr/2012/11/pour-nicole-notat-lentreprise-ne-peut_10.html

Ethic : quel patron pour demain ? 
 http://ong-entreprise.blogspot.fr/2010/02/les-patrons-de-demain-devront-avoir-une.html

Quand l’Etat va plus loin que les analystes ISR
http://ong-entreprise.blogspot.fr/2010/11/quand-letat-va-plus-loin-que-les.html

Le « Vice Fund »,
Renommé depuis peu pudiquement « Barrier Fund ». Est géré par USA Mutuals. Ses principales participations sont actuellement Boeing, Raytheon Co, Lockheed Martin, Constellation Brands, MGM Resorts International, Las Vegas Sands Corp., Galaxy Entertainment Group Ltd (à Macao), Altria Group, Lorillard, Philip Morris International, Reynolds American Inc. http://www.vicefund.com/  



fin

1 commentaire:

Anonyme a dit…

La Mecque pourrait bientôt avoir son premier sex-shop. Une marque néerlandaise veut en effet ouvrir un sex-shop compatible avec la loi islamique dans la ville sainte. Avec l'objectif de briser les préjugés.

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