jeudi 23 avril 2015

USA : le cannabis sera-t-il le prochain gaz de schiste ?



Une étude de l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) soulignait en 2008, que la part des pays industrialisés dans la consommation mondiale de tabac qui représentait 34% en 1998, allait descendre en dessous des 30%. Celle des pays en développement dépassera donc bientôt les 70%.

D’ici à 2025, le nombre de fumeurs devrait augmenter de 500 millions, dont 90% en dehors de l’Europe et des États-Unis.

Selon Euromonitor, les ventes de tabac ont baissé de 30% aux Etats-Unis depuis 2004. L’Europe de l’ouest est sur le même trend. Avec quelques nuances :

Pierre Meneton, chercheur de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), il existe une surmortalité chez les chômeurs. Elle s’expliquerait par des conduites à risques (trop de tabac, trop d’alcool, une alimentation déséquilibrée…).

Un marché qui croît dans le désordre


Au niveau mondial, le tabac perd du terrain chez les plus de 15 ans, comme le montre l'évolution des niveaux de prévalence, qui ont baissé :
  • de 41.2% en 1980 à 31.1% en 2012 chez les hommes 
  • et de 10.6% à 6.2% chez les femmes. 
Néanmoins, comme la population mondiale augmente, le nombre de fumeurs quotidiens serait passé d’environ 721 millions en 1980 à 967 million en 2012.

Un secteur pris en mire


Début 2014, l’action Philip Morris International a perdu 14% de sa valeur à Wall Street. A la fois sur des questions de taux de change, mais aussi en raison de l'apparition de doutes sur la poursuite de son modèle de croissance.


Outre la montée des circuits parallèles, des mesures anti-tabac avaient en effet affecté ses ventes en 2013 sur 3 gros marchés :
  •  l’Union européenne (-6%) 
  • la Russie (-7%), où les taxes ont été fortement augmentées. 
  • et les Philippines (-47% en volume), où la compagnie a subit de plein fouet l’introduction du «sin tax » et la concurrence d’un nouvel acteur low cost Mighty Corp. Auparavant, Philip Morris Fortune Tobacco Corp y bénéficiait d’un quasi-monopole. 

L’action Philip Morris (PM) est devenue depuis peu un peu plus risquée et plus volatile.

Les fabricants de cigarettes toussotent légèrement. Mais, ce n’est pas encore la fin du tabagisme.


La question est de savoir :
  • pendant combien de temps les cigarettiers seront-ils en mesure de compenser la baisse des volumes ici ou là par des hausses de prix. 
  • devront-ils fusionner ? Lorillard et Reynolds American se sont rapprochés, une transaction à 25 Mds$ qui doit encore être approuvée par la Federal Trade Commission. 
  • ou se diversifier, comme l’a fait PepsiCo dans les chips et les produits gras pour compenser la moindre consommation de sodas dans les pays développés. 
Outre les traditionnels procès contre les politiques sanitaires, la planche de salut des géants du tabac pourrait être notamment le cannabis ou l’«e-cigarette».

1/ La Justice pour défendre nos vices


Tous les moyens sont bons, comme s’attaquer aux Etats qui prennent trop à cœur la santé de leurs concitoyens.

Philip Morris International a lancé une action judiciaire contre l’Uruguay en février 2010 devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), un tribunal d’arbitrage qui dépend de la Banque mondiale.

Son but est tout simplement de faire plier ce pays, dont la lutte anti-tabac a été poussée très loin, entraînant une modification du comportement des Uruguayens.

Un combat mené par la firme en raison de la liberté du commerce et de la signature de certains traités, qui semblent engager le pays pieds et poings liés.

Le pot de terre contre le pot de fer.

cf. l’article de la Croix du 27 février dernier : Guerre de la cigarette entre Philip Morris et l’Uruguay

A l'opposé, ce reportage porte sur le jackpot Indonésien, un ilot de paradis, où fumer est devenu une fonction vitale.

Un reportage de Shane Smith, co-fondateur VICE, un magazine lancé à Montréal en 1994.



2/ Le cannabis, nouveau Gold Rush


L’industrie du tabac est loin d’avoir dit son dernier mot.

Connu comme le loup blanc dans la gestion d'actifs pour ses prises de position, Gerry Sullivan, géant du Vice Fund, aimerait pour sa part savoir :
"Qui va devenir le Budweiser de la marijuana? Je prédis, même s'ils vont tous le démentir, que ce sera les industriels du tabac."
En effet, la consommation de cannabis à usage récréatif est devenue légale dans quelques Etats américains. S'il prend de l'ampleur, ce nouveau business aura besoin d'être structuré.

Une libéralisation plus large dépendra certainement des prochaines élections présidentielles aux Etats-Unis.


Les arguments économiques sont connus.

Pour Jeffrey Miron, senior lecturer à l’Université d’Harvard, estimait en 2013 à près de 20 Mds$ par an l’impact de la légalisation du cannabis sur l’économie américaine.

Se partageant à peu près à moitié/moitié entre :
  • Les économies de frais de police et de justice : environ 750.000 personnes ont été arrêtées en 2011 pour des crimes relatifs à la marijuana. Ce qui fait une arrestation toutes les 42 secondes aux Etats-Unis. 
  • De nouvelles recettes fiscales

 3/ Freiner la cigarette électronique… 


Une innovation disruptive pourrait bien rebattre encore davantage les cartes.

Pour Bonnie Herzog, analyste vedette chez Wells Fargo, la cigarette électronique devrait atteindre un chiffre d’affaires de 10 Mds$ en 2017, contre seulement 3 Mds$ aujourd’hui. Des montants en croissance, mais encore modestes.

Certains analystes de Wall Street estiment pour leur part que, dans la prochaine décennie, les ventes e-cigarette surpasseront celles de la consommation du tabac traditionnel. Mais, il est difficile de prédire l’avenir. Pour l'heure, le marché est encore complètement fragmenté.

Dans un article « Watch As This Massive Sin Industry Gets Disrupted»), publié en novembre 2014 dans «The Motley Fool», Alyce Lomax, met en exergue la stratégie des acteurs historiques du tabac.

 « Le secteur passe à l’attaque. D’une manière stupéfiante pour l’esprit et dans un retournement de l’histoire particulièrement ironique, les géants du tabac commencent à demander une réglementation plus sévère des vaporettes pour des raisons de santé publique ».

Alyce Lomax s’en amuse évidemment, rappelant le combat bec et ongle des cigarettiers pour éviter toute régulation concernant leurs propres produits. Une attitude schyzophrène.

Elle estime que les consommateurs sont d’autant plus enclins à essayer ces nouveaux modes de fumer, qu’ils ne sont pas vraiment attachés aux marques de tabac, trop liées à Wall Street et à des pratiques agressives.

Dépendance ne veut pas dire amour ou Love Brand…

Ou l’adopter pour éviter le syndrome Kodak


Mais, certains acteurs ont déjà changé leur fusil d'épaule.

Professeur associé à l’Institut de santé globale de l’Université de Genève, Jean-François Etter a publié plusieurs ouvrages sur l’e-cigarette. Interrogé par Benjamen Keller pour Largeur.com, il a déclaré en 2014 que
«Les grands groupes n’innovent pas. Dans la panique et dans l’urgence, ils se sont mis à accumuler les rachats. Une seule idée les obsède: ne pas finir comme Kodak, qui a fait faillite après avoir manqué le passage de la photo argentique au numérique.»
Quelques initiatives :

  • British American Tobacco a lancé sa marque d’e-cigarette, Vype, après l’acquisition du britannique CN Creative. 
  • Même stratégie du côté de Lorillard, qui a racheté Blu eCigs en 2012, puis Skycig en 2013. 
  •  En 2014, MarkTen et Vuse ont lancé des campagnes de recrutement très agressives, assortis de vastes promotions et d’essais gratuits ("free trial").

Une vidéo un peu ancienne (2013)



Ces rois du marketing affutent leurs armes, sans savoir vraiment s’ils risquent à terme une cannibalisation.

Un monde meilleur


Ils recyclent même des promesses anciennes pour séduire la foule de passer aux personal vaporizers (VP), qui apparaissent plus cools et plus amicaux, avec des accroches comme :
  • La liberté : "Take back your freedom" (Blu, groupe Lorillard)
  • L’homme bionique "Welcome to tomorrow(Vuse). 
Certains spécialistes boursiers du tabac doutent ouvertement que ce virage électronique soit le bon. Personne ne sait vraiment ce qui au final va sortir du chapeau.

Jusqu'à présent, l'industrie du péché a souvent eu les ressources, les arguments et les bons appuis pour préserver ses intérêts.

Cet article fait suite à mon dernier post sur l’économie du vice

Pour aller plus loin : 

The Motley Fool. Watch As This Massive Sin Industry Gets Disrupted
http://www.fool.com/investing/general/2014/11/10/watch-as-this-massive-sin-industry-gets-disrupted.aspx

Mars 2012. Junk food et social media : le cas PepsiCo
http://ong-entreprise.blogspot.fr/2012/03/junk-food-et-social-media-pepsi-co-en.html

Tobacco Atlas, une initiative de l’American Cancer Society et de la World Lung Foundation www.tobaccoatlas.org

Selon Tobacco Atlas, certains des pays les plus gros producteurs de tabac dans le monde sont aussi ceux qui connaissent la malnutrition.


Le business du péché aux XXIème siècle
http://bit.ly/1IMgxwj

Les pionniers des nouveaux marchés par Benjamin Keller ; édité par l’agence de presse LargeNetwork, le magazine en ligne Largeur.com
http://www.largeur.com/?p=4175
fin

2 commentaires:

Anonyme a dit…

L’Apllication Eaze met directement en relation vendeurs et acheteurs. L'entreprise ne vend pas elle-même le cannabis et ne cultive pas ses propres plants. Elle fonctionne comme Uber ou Airbnb, mais ses livraisons se limitent pour l'instant à la baie de San Francisco.
L'entreprise espère étendre son activité à l'ensemble de la Californie, et revendique 30.000 livraisons depuis son lancement, il y a neuf mois.
Selon un rapport d'ArcView Group, c'est le secteur de l’économie qui évolue le plus rapidement dans le pays.
Snoop Dogg, connu pour s'afficher fumant des joints et qui a lancé avoir lancé sa chaîne YouTube WestFestTv recemmment, fait partie des nouveaux investisseurs de la start up, qui vient de lever 10 millions de dollars

Anonyme a dit…

Dans un rapport publié début février, ArcView et New Frontier Data estiment que le commerce légal de cannabis a rapporté 5,4 milliards de dollars en 2015. Contre 4,6 milliards un an plus tôt. La seule vente légale « à usage récréatif » – par opposition à celle vendue sur prescription médicale – a généré 998 millions de dollars, ce qui représente une hausse de 184% par rapport à 2014. Les auteurs de l’étude estiment le marché légal devrait atteindre 6,7 milliards de dollars en 2016 et même 21,8 milliards en 2020.
Au Colorado, 1er Etat à avoir légalisé la production, la vente et la consommation de cannabis à des fins non médicales, les taxes et autres licences ont rapporté 135 millions de dollars en 2015, selon ArcView. Soit près de deux fois plus qu’en 2014.

Quant à l’État de Washington, il a récolté 70 millions de dollars de taxes pour des ventes totales de 257 millions.

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