mardi 3 novembre 2009

Les plus démunis retrouvent du lien social grâce à l'association Reconnect et ses partenaires


Eric Chatry, 42 ans, Président-Fondateur de l’association Reconnect, technologies pour la base de la pyramide, nous a accordé une interview.

Eric Chatry a travaillé 7 ans chez Danone à l’international avant de rejoindre d’autres entreprises comme L’Oréal et McKinsey. Son dernier poste fut chez LVMH à la stratégie de la branche champagne, une activité très lucrative. Se sentant cloisonné dans une «prison dorée », Eric Chatry a démissionné du groupe LVMH début 2008 pour se donner du temps et envisager une nouvelle vie.
Le choc n’allait pas tarder. Il allait en effet participer comme bénévole à l’accueil de personnes démunies dans un centre du Secours Catholique, à la Rampe à Colombe (92). Une rencontre, où il a découvert brutalement l’univers de la pauvreté. Il y a constaté la disparition du lien social ainsi que l’existence de nombreuses personnes à potentiel, qui étaient tombées sans avoir les moyens de se relever.
Face à la pénurie de moyens et aux limites de ce genre d’accompagnement, il a imaginé de nouvelles solutions de sortie de la misère, en mettant la technologie au service du lien social. En septembre 2008, il fonde Reconnect avec le Groupe SOS et l’association Peuplade.

Le constat de départ repose sur le fait que les personnes les plus démunies sont pénalisées par une offre inadaptée de services télécoms. Non seulement les tarifs sont prohibitifs, mais les personnes les plus pauvres ne parviennent pas à conserver longtemps leur numéro de téléphone, du fait d’un manque d’unités. De plus, leurs batteries sont compliquées à recharger. Pire, les personnes exclues perdent régulièrement leurs téléphones, ou se les font voler.

Question : En quoi la téléphonie mobile génère-t-elle de l’exclusion ?


EC : Moins on achète d’unités, plus la communication est chère à la minute. Comme la population la plus en détresse ne figure pas sur l’écran radar des spécialistes de marketing, l’erreur est de penser que l’accès à de nouveaux produits et services ne repose que sur le prix. L’offre réservée aux allocateurs du RSA par Orange comprend toute une batterie de critères qui la rendent inopérante, comme un abonnement minimal de 12 mois.

Notre association propose un numéro de téléphone unique, consultable de partout, y compris d’une cabine téléphonique. Il est possible de rappeler les personnes qui ont laissé un message grâce à une touche spéciale, ce qui est très utile à ceux qui cherchent du travail. Le numéro Reconnect reste le même si l’usager change d’hébergement, de domiciliation, de téléphone portable…Il constitue un point d’ancrage rassurant, « une ligne de vie ».

De plus, nous remettons à nos clients un paquet de 100 cartes de visite, sur lesquelles figurent les données essentielles et un mini CV. Ils en sont très fiers et savent l’utiliser à bon escient pour rester en contact avec des employeurs potentiels.

Après 6 mois de recul, 300 personnes ont adhéré à ce système, qui pourrait intéresser à terme 100.000 individus, non seulement des grands exclus, mais aussi des travailleurs pauvres, des condamnés sortant de prison, des toxicomanes ou des femmes battues.

Votre service est-il gratuit ?


EC : Nos services sont proposés gratuitement au démarrage, puis deviennent payant après une phase de tests. Les exclus sont d’ailleurs désireux de payer une somme modique (10 euros par trimestre), à prix coûtant, car ils reconnaissent l’utilité du système, sa capacité à faciliter le lien social et à éviter l’acculturation. Ce qui est gratuit n’a pas de valeur. Les travailleurs sociaux, qui sont nos prescripteurs, jouent un rôle pédagogique essentiel dans les lieux d’accueil pour présenter ces nouveaux services. Les personnes exclues peuvent y commander elles-mêmes leurs cartes de visite sur ordinateur.

Qui sont vos partenaires ?

EC : Nous avons effectué toute la phase technique avec un MVNO Transatel et la société Mediactive pour les données de gestion. Ces derniers sont intervenus sous forme de mécénat de compétences. Ayant fait ses preuves, ce système est désormais susceptible d’intéresser d’autres opérateurs comme Orange et SFR. Notre association vient d’ailleurs de remporter le Concours Jeunes talents de SFR.
Par ailleurs, les personnes démunies ont du mal à conserver des papiers essentiels comme la carte d’identité ou des fiches de paye. Nous avons conçu un «coffre-fort numérique » en partenariat avec la CDC et des avocats. La vocation de notre association nous a permis de passer sous les fourches caudines de la CNIL, ce qui aurait sans doute été plus difficile pour une entreprise ou une administration publique.

Concernant l’édition de cartes de visite, nous travaillons avec Ooprint, qui a bien voulu ne pas mettre son logo au dos de la carte. Quelques fondations nous soutiennent comme Fondation SEB et Macif. Nos partenaires associatifs sont très nombreux : SOS Habitat et Soins, L’Armée du Salut, Samu Social de Paris, Secours Catholique, Arcat, Arapej, Mie de Pain, Aurore, etc.

Quelle est l’originalité de votre démarche ?


EC : Ces innovations qui présentent un caractère d’intérêt public ont été permises car notre association est sur le terrain à palper les besoins. Ce travail de dentelle n’aurait pas été possible par l’Etat. Néanmoins, nous avons prévu de rencontrer la secrétaire d'Etat à la prospective et au développement de l'économie numérique pour obtenir du soutien et faciliter notre travail avec les administrations. Notre mission s’intègre bien dans la notion de numérique solidaire. Le paradoxe de notre activité est bien d’apporter la technologie non pas à une minorité très mobile mais à ceux qui en ont le plus besoin. Il s’agit bien de réduire une fracture et de réintégrer une population marginalisée et sans possibilité de communication.

Le statut associatif a été préféré à celui d’une entreprise sociale afin de ne pas polluer le débat avec nos partenaires car le monde social n’est pas encore mûr pour accepter des statuts autres. Pour ma part, je suis Président donc non rémunéré et notre Directeur général qui a passé 7 ans au Groupe SOS est salarié.

Notre travail repose sur les travailleurs sociaux et nous avons un point mort entre 5.000 et 7.000 bénéficiaires. Pour atteindre un public, qui ne parle pas toujours Français, nous allons communiquer sur les lieux d’accueil grâce à des affiches sous forme de BD qui raconte une histoire. Cette campagne va être conçue par l’agence Numéro 9. L’idée est de pousser les exclus à faire pression sur les travailleurs sociaux pour qu’ils diffusent nos outils.

Votre projet s’inscrit-il dans une démarche RSE ?


EC : La RSE présente essentiellement un caractère défensif, très marqué par une préoccupation de communication. Les équipes de développement durables sont souvent périphériques, des postes qu’on occupe en début ou en fin de carrière. Seule exception, dans le domaine de l’extraction, où la RSE est un sujet très sensible, ou encore aux USA, où ce métier est plus structuré.

Face à ce mouvement de fond, les entrepreneurs sociaux font figure de Zébulons, par rapport aux gouvernements, aux entreprises et aux ONG. Ils partent des besoins, tirés de l’observation d’écosystèmes. A part dans le domaine de l’urgence, les ONG sont souvent concurrentes du social business. En creusant des puits, elles ont fait croire aux villageois de nombreux pays que l’eau était gratuite. Au mieux, elles peuvent parfois être partenaires. Le problème du monde non lucratif est de ne pas intégrer une logique économique, ce qui réduit considérablement leur capacité à résoudre des grands problèmes du monde contemporain.

Les problèmes des entreprises sociales sont à la fois le changement d’échelle et les compétences. Pour passer un cap, il faut souvent chercher un relais auprès d’entreprises plus classiques. Si ces dernières innovent peu dans le domaine de la réduction de la pauvreté, elles constituent de formidables machines à photocopier, dès lors qu’elles ont perçues l’intérêt de la démarche d’un petit poucet. Pour se diffuser, le projet doit donc être à la fois avoir un impact social et répondre à une logique de marché.

Le témoignage de Larbi, usager de la Rampe :
« Moi j’utilise mon numéro sur les cabines extérieures. (…) J’ai reçu des messages de la restauration, là où j’ai laissé mes cartes de visite avec mon numéro et j’ai un RDV demain et un autre après-demain pour travailler dans les cuisines. Avant d’avoir ce numéro, ils n’avaient rien pour me joindre (…) J’ai aussi donné mon numéro à la famille, aux proches pour qu’ils n’hésitent pas à m’appeler s’il y a quelque chose. Il y a même mon beau-père qui m’a dit « tu as des cartes de visite, tu as une entreprise ? »

Pour aller plus loin :

• Le Groupe SOS est un groupe de l’économie sociale, constitué d’associations et d’entreprises, qui développe, aujourd’hui, des activités dans les champs du sanitaire et social, de l’éducation, de l’insertion, du logement, du développement durable et de la solidarité internationale.

Peuplade a développé un projet social exprimé dans une Charte et mis en œuvre par « Les Ingénieurs Sociaux », une entreprise engagée qui conçoit et développe des outils destinés à offrir aux personnes, aux associations, aux entreprises et aux institutions les moyens de donner aux rapports interpersonnels, à la société et à l'économie un visage plus humain.

Intervention d’Eric Chatry sur France Info, dans l’émission Une Vie, des Idées :
http://www.france-info.com/chroniques-une-vie-des-idees-2009-05-20-eric-chatry-l-association-reconnect-293805-81-125.html

Le site Internet de l’association :
http://www.reconnect.fr/

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire