mercredi 3 mars 2010

La science à l’épreuve des médias


Les scientifiques et les médias ont besoin l’un de l’autre pour communiquer. Le public attend de leurs échanges une information fiable. Seuls les journalistes peuvent permettre une hybridation entre savant et profane. Alors que les journalistes avaient joué un rôle majeur, à côté des ONG, dans la sensibilisation des Français au réchauffement climatique, le Climategate a brouillé les cartes.

Dans ce contexte, l’Institut Océanographique Paul Ricard et la Société Européenne des Réalisateurs de l’Environnement ont organisé hier soir, autour de Patricia Ricard, une conférence sur le thème "La science à l'épreuve des médias". Les intervenants du Mardi de l’Environnement ont fait part de leurs contraintes.

Pour Anne Bauer, Journaliste aux Echos et Présidente de l’Association des journalistes de l’environnement (AJE, 120 adhérents), la difficulté du métier est d’être pris dans un tourbillon d’informations. Le journaliste passe de crise en crise sans répit : grippe aviaire, thon rouge, climat, pomme de terre OGM, etc. Sur ce, vient se greffer des querelles entre scientifiques, des incertitudes, alors que le journaliste aurait besoin de faire confiance aux hommes de science. Pour Anne Bauer, il n’est pas possible d’enquêter sur chaque chercheur pour jauger son degré de fiabilité. L’autre défi est de faire part de toute l’étendue des débats, de donner tous les points de vue, même minoritaires.

A la télévision, lorsqu’on manque de temps ou qu’on ne maîtrise pas un dossier, la tentation est grande d’interroger deux experts aux opinions opposées, sans tenter de faire la synthèse. Pour la spécialiste des Echos, la multiplication des supports traitant des questions environnementales et l’explosion des blogs et des sites d’Université contribuent également à une dispersion extrême des sources d’information.

De son côté, Yves Miserey, du Figaro, refuse de porter l’étiquette de journaliste scientifique. Pour éviter de se laisser déborder, il se documente très en amont à travers la lecture des revues spécialisées. Il a également constaté que la presse parisienne était parfois restée très franco-française sur certaines questions comme par exemple des débats entre pays du Nord et du sud sur l’adaptation au changement climatique. De l’autre côté de la Manche, les confrères britanniques étaient plus en avance et moins partial. Le reporter doit éviter de se retrouver embarqué par quelques interlocuteurs privilégiés, souvent compatriotes, une situation qui présente les mêmes dérives que l’«Embedded journalism» dans les zones de conflit.

Yves Leers, ancien de l’AFP et de l’ADEME, actuellement chez Toogezer, souligne que le journaliste est souvent seul face à des dossiers brûlants, face à son Rédacteur en chef et aux annonceurs. Il aura fallu du temps pour que la presse fasse le jour sur le fameux nuage de Tchernobyl, qui s’était arrêté aux frontières françaises. La presse scientifique doit réussir à se forger une ligne éditoriale, dans un univers régi par les lobbies et les groupes de pression. A ce titre, les ONG, comme le WWF France, ne sont pas pauvres. Elles ont les moyens de s’offrir les services de lobbyistes expérimentés. Un des secteurs les plus exposés aux pressions et tentations (voyage de presse) serait celui de la santé. La réussite de ces politiques d’influence est aussi de réussir à faire oublier certaines données : la chasse au CO2 a ainsi fait passer aux oubliettes la question des oxydes d’azotes émis par les voitures.

Pour Jacky Bonnemains, de l’association Robin des Bois, la défense de certaines causes doit savoir allier lenteur et rapidité. Il faut dans un premier temps être capable de recouper les informations et savoir tirer parti du service de documentation de l’ONG, qui dispose de 25 ans d’archives. Encore récemment, l'association écologiste a demandé au préfet maritime de l'Atlantique le démantèlement ou le retour dans leur pays d'origine de deux ferries de plus de 40 ans en avarie à Brest. Robin des Bois n’a de cesse de dénoncer la vente de bateaux européens «au bout du rouleau» aux pays du Sud.

Pour le porte-parole de l’association, la fragmentation des médias a entraîné une perte d’influence des médias historique. Pour lancer une campagne, une association ne peut plus se contenter de contacter quelques grands diffuseurs comme à la télé, la radio et de grands quotidiens. Il faut aussi tenir compte de tous les autres relais qui existent sur Internet, dont la vitesse de réaction est plus rapide. Par ailleurs, il rappelle qu’il faut savoir que les scientifiques défendent des budgets pluriannuels et que leur passage régulier dans la presse ne peut que conforter leur financement.

Jacky Bonnemains constate aussi qu’il est nécessaire de travailler avec les services de l’Etat, même si ceux-ci ont tendance à se focaliser sur les sujets qui font les manchettes. Pourtant, il faut beaucoup de temps pour qu’un groupe de travail produise des recommandations. Pour lui, les ONG ont pu collaborer avec l’Etat dans de bonnes conditions depuis le Ministère de Brice Lalonde et cette coopération s’est encore accéléré avec le Grenelle de l’Environnement et le Grenelle de la Mer. Le problème étant qu’une fois qu’on a dressé des perspectives, il faut du temps pour les mettre en œuvre. Pour lui, il faut conserver une vision à 360°, sans tomber dans le panurgisme, comme ce fut le cas pour le thon rouge.

Jean-François Carenco, Directeur de Cabinet, du Ministre d’Etat, Ministre de l’Ecologie de l’Energie du Développement Durable et de la Mer en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, relève que les sujets environnementaux sont particulièrement complexes. Un phénomène peut provenir de plusieurs causes, comme il l’a observé pour la disparition de la morue lorsqu’il était préfet à Saint-Pierre et Miquelon. Or, la société, la République des juges, réclame des messages simples, donc réducteurs. De plus, la participation du public dans des processus de concertations sur des thématiques environnementales prend du temps. A ce titre, il regrette que les hommes politiques soient davantage interpellés qu’interrogés. Et, il reconnaît qu’il n’est pas non plus possible d’avoir tout le temps un avis sur tous les sujets. Il revendique que son Ministère prône l’honnêteté et la transparence, y compris sur le dossier nucléaire.

Pour Jean-Marie Pelt, botaniste, écrivain, homme politique, il faut se méfier de l’instantané et du sensationnel. Copenhague a tétanisé les journalistes pendant 15 jours, avec un relent de catastrophisme. Ces derniers ont juré qu’on ne les reprendrait plus, si bien qu’il est devenu aujourd’hui très difficile de parler de biodiversité. En écologie, il convient de rompre avec le pessimisme ambiant et de mesurer objectivement la portée de dangers réels. Rien ne sert de céder à la tentation anxiogène. Ce vulgarisateur admet que quand il ne connaît pas une réponse, il vérifie, ce qui n’est pas toujours le cas dans toutes les salles de rédaction. C’est une question de déontologie. Jean-Marie Pelt vient ainsi de refuser de répondre à chaud à un journaliste sur ce qu’il pense de l’autorisation en Europe de la pomme de terre OGM de BASF, car il n’avait pas alors tous les éléments en main. Un effort louable, même si le rythme des médias ne permet pas en général de reporter un sujet chaud au lendemain.

Pour Yvon le Maho, qui revendique une indépendance absolue, l’expertise doit être contradictoire. Le sensationnel doit être évité à tout prix. Alors que l’étude de la biodiversité manque de moyens, il prône un GIEC de la biodiversité, qui réunirait toute la communauté scientifique internationale. Yvon le Maho est académicien des sciences. Il observe actuellement les manchots aux Îles Crozet. Il a participé au Grenelle de l’environnement et s’est vu demandé dans le cadre de «L’après Grenelle» une expertise sur la biodiversité et son évaluation. Il a également participé au documentaire "Océans" de Jacques Perrin, qui a notamment une vocation pédagogique.

Pour aller plus loin :


Sur un sujet proche : La presse, les ONG et le développement durable
http://ong-entreprise.blogspot.com/2009/10/tintin-les-ong-et-le-developpement.html

Le choc des valeurs : L’expertise, dans la mesure où elle est de moins en moins compréhensible et donc de moins en moins accessible au citoyen, en vient à susciter la méfiance.
http://ong-entreprise.blogspot.com/2010/02/elise-rebut-une-discipline-scientifique.html

« Au cœur de la communication, le chercheur » Le témoignage de Claude Férec

http://www.espace--sciences.org/science/10065-sciences-ouest/10187-132/10641-dossier-du-mois/12498-la-science-a-l-epreuve-des/12502-au-coeur-de-la-communication/index.html

La science du journaliste
http://www.espace-sciences.org/science/10065-sciences-ouest/20110-Annee-1997/10187-132/10641-dossier-du-mois/12498-la-science-a-l-epreuve-des/12504-la-science-du-journaliste/index.html

Concernant les intervenants

Fondation d’entreprise Ricard
http://www.fondation-entreprise-ricard.com/

L’Association des journalistes de l’environnement
http://www.journalistes-environnement.org/

Blog : le climat dans tous ses états
http://blog.lefigaro.fr/climat/yves-miserey.html

Robin des Bois
http://www.robindesbois.org/

Le site internet de Toogezer

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http://www.toogezer.com/

Le dernier livre de JM Pelt : « Les dons précieux de la nature »
http://www.fondation-nicolas-hulot.org/blog/les-dons-precieux-de-la-nature-de-jean-marie-pelt

« Une mer sans poissons » de Philippe Cury et Yves Miserey
http://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/une-mer-sans-poissons-9782702138687

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