samedi 31 juillet 2010

La politique de RSE des firmes argentines reste encore largement dans le domaine humanitaire




Ethel Bonnet-Laverge, fondatrice de Paradigmo et consultante en développement durable, a répondu à nos questions. Après avoir parcouru l’Amérique du Sud pour y observer les politiques et actions de développement durable adaptées au contexte régional, elle s'est installée en juin 2009 en Argentine. Elle y réalise des missions de conseil aux entreprises en s’appuyant, selon les besoins, de structures locales (cabinet de conseil, ONGs), de la phase de définition des besoins à la mise en place d’actions concrètes.

Pour comprendre la situation des entreprises argentines sur les questions de responsabilité, il faut connaître le contexte économique et social du pays. Le ministère de l'Economie prévoit une croissance de 5% pour l'ensemble de 2010, après 0,9% en 2009. Les chiffres officiels de l'INDEC (El Instituto Nacional de Estadística y Censos) sont cependant contestés par les économistes privés. Ces derniers estiment même que le PIB a reculé en 2009, leurs évaluations allant de -1,5% à -4%. Le taux de chômage se serait élevé à 9,7% en 2009 pour un PIB moyen par habitant de près de 8.100 dollars par an, à comparer à 42.000 dollars en France.

Ethel Bonnet-Laverge apporte un éclairage sur les politiques de RSE en Argentine, elles aussi marquées par la crise.

Choc des valeurs : Quelle est la prise de conscience des Argentins par rapport aux questions de développement durable ?

EBL : Elle est minimale. Les Argentins vivent dans un contexte de crise économique contre laquelle ils se sont adaptés en vivant au jour le jour. Le statut de salarié est loin d’être la règle. De nombreux employés restent longtemps indépendants, même lorsqu’ils travaillent pour l’Etat. Beaucoup d’argentins cumulent plusieurs jobs, même dans le milieu du développement durable. Pour cela, la population argentine est très créative. Le chômage est élevé, même si les statistiques de l’INDEC sont moins fiables que celles de l’INSEE. De plus, l’emploi informel est endémique.

Près de 30% de la population vit sous le seuil de pauvreté, avec notamment un problème de sous-alimentation. L’Etat aide très peu les plus démunis et face aux problèmes d’éducation, les familles cherchent quand elles en ont les moyens à mettre leurs enfants dans le système privé. Les Argentins voyagent peu et la crise les a poussés à se concentrer sur l’essentiel, la famille et les amis. Dans ce domaine, ils sont prêts à dépenser, même à crédit. Pour s’adapter à l’inflation, qui tourne autour de 20%, un système de troc (seulement mis en place en 2002, ce n‘est plus le cas aujourd’hui) a été mis en place qui rencontre un franc succès.

A ce titre, les problématiques de RSE restent l’apanage des grandes entreprises, souvent filiales de groupes internationaux. Néanmoins, au cours des rencontres mensuelles Green Drinks, que j’organise avec deux autres personnes à Buenos Aires, je constate que de nombreux jeunes entrepreneurs viennent présenter leurs projets. L’insécurité du pays a pour mérite de mettre les gens à l’aise par rapport au défi de l’entrepreneuriat. Au total, ce réseau rassemble à chaque fois une centaine de participants sur un total de plus de 600 contacts.

Dans quels domaines les entreprises locales interviennent elles ?

EBL : L’action la plus fréquente des entreprises répond aux problèmes d’urgence tels que l’alimentation et l’éducation. Les firmes financent depuis 2001-2002 des cantines, les «comedores». L’institution la plus en vue dans ce domaine est « El banco de Alimentos », qui collecte et redistribue les vivres. Le secteur privé appuie également des associations de soutien scolaire.

Le volontariat d’entreprise existe également, comme plusieurs hôtels du Groupe Accor, dont les salariés ont participé à la Journée de la Terre, en allant collecter des déchets dans la réserve écologique accumulés le long du Rio. Mais, je dois souligner que cette initiative dans l’environnement reste isolée, car les entreprises argentines ont concentré la quasi-totalité de leurs efforts dans le domaine social. D’autres actions peuvent consister à repeindre une école. Certaines entreprises ont aussi prévu pour la Journée de la Terre des actions de formation, comme Procter & Gamble et IRSA, un groupe spécialisé en gestion immobilière (Real Estate).

Le contenu des politiques RSE est-il divulgué ?

EBL : Les actions en matière environnementale et sociale font l’objet de peu de communication en interne. Les actions sociales sont parfois reprises sur l’Intranet ou le journal interne. Certaines compagnies, poussés par leurs maisons mères américaines ou européennes, réfléchissent à établir un rapport de développement durable, avec la question par exemple des indicateurs de performance. Cette pratique est d’ailleurs en forte hausse. Il commence à y avoir dans ce domaine des appels d’offre, mais tous ne vont pas jusqu’au bout. D’une manière générale, qu’il s’agisse d’une action de volontariat d’entreprise ou d’un partenariat avec une ONG, les engagements sont le plus souvent à court terme. Ils dépassent rarement un an et peuvent être ensuite renouvelés en fonction du budget assigné. Les associations partenaires sont souvent locales, dans l’éducation ou la collecte des déchets, notamment sur des thématiques comme la sensibilisation.

Rares sont les entreprises qui interviennent dans leur cœur de métier, comme certains groupes automobiles qui font de la prévention routière. Contrairement à un pays comme la France, les firmes argentines restent dans le domaine humanitaire, celui de l’urgence. La prochaine étape sera d’intégrer les salariés dans le processus et de bâtir une politique de RSE qui s’insère dans la stratégie de l’entreprise.

Une étude récente a montré que les deux principaux publics de l’entreprise en Argentine sont la presse et les ONG. La satisfaction du client vient en dernière position. Le consommateur reste peu sensible aux questions de responsabilité de l’industriel. Cela s’explique sans doute du fait que les Argentins ont encore le sentiment de vivre dans un pays immense où les ressources sont inépuisables. Le mouvement associatif reste d’ailleurs limité.

L’Argentine est-elle un pays homogène ?

EBL : Le pays présente une grande diversité. Les habitants de la capitale se sentent quasiment européens, ce qui n’est pas le cas dans «l’intérieur du pays». La question du mariage homosexuel, dont la presse française a parlé, ne fait d’ailleurs pas débat dans la capitale. Si cela fait débat au niveau politique religieux ou cela est clairement contesté, la population reste quant à elle assez réservée.

Il existe aussi une population indigène, dont les droits ont été reconnus tardivement. Ces populations pauvres restent isolées. Le commerce équitable tente d’ouvrir un accès au marché local à leurs produits artisanaux.

Quels sont les thèmes de campagne des ONG de plaidoyer ?

EBL : Actuellement, Greenpeace cherche à sensibiliser les Argentins au recyclage des piles, en tentant notamment de savoir où elles partent et qui effectuent ces opérations et dans quelles conditions.

Les ONG se sont aussi opposées sans succès à l’ouverture d’une mine à ciel ouvert à Cordoba, dans une région très riche en biodiversité. De même, elles ont lutté contre l’ouverture d’un méga projet minier à Pascua Lama, qui prévoyait de creuser dans les montagnes et d’utiliser l’eau des glaciers entre l’Argentine et le Chili.

D’autres points aussi suscitent des questions, comme la vente des terres à des grands propriétaires terriens comme Benetton. Patagonia a aussi investi en Argentine, mais cette entreprise n’inquiète pas, du fait de son image de sérieux et de respect de la nature. Cela pose aussi la question de l’eau, qui ne manque pas en Argentine, mais qui est inégalement répartie et dont une partie croissante est entre des mains privées. Dans ces ventes, l’Etat applique lui aussi une vision à court terme.

Par ailleurs, les besoins croissants en espace de la culture du soja à réduit les pâtures des bovins. La viande, si appréciée par la population, comme d’autres matières premières, a vu ses prix flamber. Dans le même temps, la déforestation a entraîné un appauvrissement des sols ainsi que des glissements de terrain.

Bio:
Consultante en développement durable, Ethel Bonnet-Laverge a fondé Paradigmo. Formée aux métiers du Commerce International en France, elle suit une spécialisation en Management et Développement Durable. Parallèlement, elle a rejoint le cabinet de conseil Auxilia, structure spécialisée dans l’accompagnement stratégique des acteurs publics. Au cours de son activité elle a réalisé une note de synthèse sur les stratégies de Responsabilité Sociétale et développement locale: «Ancrage territorial : quel services pour quels besoins».

A partir d’octobre 2008, elle a parcouru l’Amérique du Sud et y a observé les politiques et actions de développement durable adaptées au contexte régional. Depuis juin 2009, elle s’est installée en Argentine, où elle réalise des missions de conseil aux entreprises en s’appuyant, selon les besoins, de structures locales (cabinet de conseil, ONGs), de la phase de définition des besoins à la mise en place d’actions concrètes.

Ses coordonnés :

www.paradigmo.net

ethel@paradigmo.net

Twitter: twitter.com/EthelBonnetLave

Pour aller plus loin :

Le journal des expats en Argentine
http://www.lepetitjournal.com/buenos-aires.html

Les grandes entreprises qu'elles sont de plus en plus nombreuses à disposer d'un département développement durable (en général une personne est désignée en interne, et vient de la communication ou du marketing, poste tenu majoritairement par des femmes Rapport ComunicaRSE – Septembre 2009
http://www.comunicarseweb.com.ar/biblioteca/noticias-09/0900.html

La parité entre les sexes avance en Argentine, selon les experts du CEDAW
http://www.un.org/News/fr-press/docs//2010/FEM1810.doc.htm

El Instituto Argentino de Responsabilidad Social Empresaria (IARSE) es una organización que trabaja para constituirse en un centro de referencia nacional en materia de responsabilidad social de las empresas.
http://www.iarse.org/new_site/site/index.php?put=home

Projet Comedor Argentine sur Facebook mené par des étudiants d’une école de commerce marseillaise
http://www.facebook.com/group.php?gid=43072921124&ref=ts

The Fundación Banco de Alimentos is a non-profit, private law corporate foundation whose aim is to become a bridge between those who are afflicted by hunger and those who wish to cooperate by means of a transparent and efficient channel that can guarantee that their donation will reach those who need it most. It is the first food bank in the country, concentrating its activity in the Autonomous City of Buenos Aires and Suburban Buenos Aires.
http://www.bancodealimentos.org.ar/en/quienes-somos/fundacion-banco-de-alimentos

Mégaprojet minier Pascua Lama,

sur le site Mondialisation.ca, un post du 29 avril 2010
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=18912

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire