lundi 23 août 2010

Avec Lula, les Brésiliens ne sont plus forcément pauvres de père en fils.




Luiz Ignacio Lula da Silva est président de la République du Brésil depuis janvier 2003. Il a été réélu aisément en 2006 avec près de 61% des suffrages, malgré une affaire de corruption ayant pollué sa fin de mandat. Il n’a pas le droit de briguer un troisième mandat consécutif, ce qui aurait supposé un changement constitutionnel. Le vote pour le prochain chef de l’Etat a lieu le 3 octobre prochain. Sa dauphine Dilma Roussef caracole en tête des sondages. Elle bénéficie de l'extraordinaire popularité de son parrain, qui s'explique surtout par des résultats spectaculaires dans la lutte contre la faim et la pauvreté. (ci contre, une photo de Brazilia, la capitale politique).


Le 20 mai dernier, j’ai rencontré à São Paulo, la capitale économique, avec d'autres journalistes de l’AJIS, un professeur de Sciences politiques. Francisco César Pinto da Fonseca est professeur à la Fondation Gétulio Vargas, une institution au Brésil, fréquentée par les meilleurs étudiants. Le rendez vous a eu lieu à deux pas de l'avenue Paulista. Spécialiste des politiques publiques et des institutions, il a publié cette année un article dans le Monde Diplomatique, version portugaise, intitulé « Politicas sociais como politica de Estado ».


Q : Lula bénéficie d’une popularité formidable auprès de ses concitoyens. La société brésilienne a-t-elle changé en 8 ans ?

J’ai résumé mes réflexions dans l’article L’héritage de Lula, que j’ai rédigé avec un autre professeur. Selon moi, le Brésil a fait un bond en avant dans le champ social, notamment grâce à un transfert de ressources appelé Bolsa Familia, dont l’utilité a été reconnue par l’Unesco et l’ONU. Ce dispositif pourrait même être transposé dans d’autres pays. Il bénéficie à 55 millions de personnes. Des personnes autrefois en position de pauvreté vivent mieux. La sécurité alimentaire a progressé. Il y a une universalisation du système de santé, des assistantes sociales et de l’Education. Dans un autre domaine, les programmes de soutien à l’agriculture familiale, comme le PRONAF, ont vu leurs budgets augmenter de manière significative sous Lula.
L’enveloppe destinée aux dispositifs sociaux a augmenté. Mais, il faut le mettre en perspective, puisque le budget consacré au social, qui atteint 20 milliards de réais (environ 9 milliards d'euros), ne représente que 10% des sommes consacrées à la dette interne (200 milliards de réais). Pourtant, les mesures sociales au Brésil ont un impact déjà palpable. On parle d’une nouvelle classe moyenne, qui a commencé à consommer sur le marché interne. Toutes les mesures mis bout à bout ont permis d’amorcer un début d’ascenseur social.
Le Brésil a pu ainsi traverser la crise mondiale, grâce au dynamisme de son marché interne. Les entreprises bénéficient d’un gros marché populaire, comme l’achat de voiture, de télévisions, radios et aussi de nourritures. En dix ans, le Brésil s’est transformé. De nombreux enfants sont sortis de la rue, avec la mise en place d’un carnet de présence, de campagnes de vaccination. Le travail des enfants a aussi chuté.

Q : Ces avancées sont-elles durables ?

Un projet devant le Congrès brésilien s’appelle la consolidation des lois sociales. Son objectif est d’instituer une politique d’Etat et non pas seulement une politique de gouvernement, bien souvent versatile. A l’instar des lois du travail (NDLR : Depuis le 1° mai 1943, le Brésil a unifié toutes les lois du travail autour de la CLT – Consolidação das Leis do Trabalho (Consolidation des Lois du Travail) qui régulent les relations individuelles et collectives du travail. Composée de 900 articles elle est la principale ordonnance juridique qui régit les contrats de travail, les conventions collectives et la négociation individuelle la complètent). Cela permettrait d’éviter d’interrompre certaines politiques très populaires.

Bien que Lula soit parti de mesures antérieures, il a développé et innové. Le crédit populaire a été très dynamique. A noter aussi que l’Etat brésilien est sorti renforcé du processus de privatisation, à l’opposé de l’Argentine.

Le principal parti d’opposition, le PSDB (en portugais Partido da Social Democracia Brasileira) a clairement exprimé, qu’il ne remettrait pas en cause les innovations sociales récentes, qui ont remodelé le pays.

Quels sont les camps en présence ?

Le Brésil vit une situation bipolaire, avec une division entre le PT (parti des travailleurs, en portugais Partido dos Trabalhadores) et le PSDB, la sociale démocratie. La politique au Brésil est un présidentialisme de coalition. Il existe 27 partis au Brésil.

En politique extérieure, la politique du PT se veut assez indépendante des Etats-Unis et de l’Europe, plus proche de pays comme le Venezuela, du Moyen Orient de certains pays d’Afrique. Le PSDB est plus aligné sur le noyau des pays du G7.

Le PT a une tradition de consultations populaires, comme les syndicats. Le PSDB fait davantage une séparation entre l’Etat et la société civile. Le PSDB est proche du libéralisme, tandis que le PT est proche de la sociale démocratie européenne. Le PT sur le plan social est plus agressif et favorise une plus grande inclusion sociale. Le PT marque aussi un volontarisme plus fort dans la politique industrielle.

Dans les deux cas, les partis ont de multiples alliés, ce qui est indispensable pour former un gouvernement. Dans ces conditions, aucune grande coalition ne peut échapper à des contradictions idéologiques. Le PT peut ainsi aussi être lié à des forces conservatrices.

Quels sont les grands thèmes abordés dans la campagne électorale?

Les proches de Lula insistent auprès des électeurs sur les mesures qu’ils ont pris, en se comparant au gouvernement précédent, celui de Cardoso. Le PSDB affirme qu’il peut aller plus loin que Lula, tout en restant dans sa continuité. Il évoque la nécessité d’une réforme fiscale, qui réduirait la taille de l’Etat. La charge fiscale au Brésil est très injuste. Il n’y a pas de taxe sur la valeur ajoutée. Les impôts, qui sont indirects, ne dépendent pas des ressources. Mais, l’agenda est bloqué, car il y a des gagnants, mais aussi des perdants d’une éventuelle réforme.

Les thèmes les plus populaires de cette campagnes sont le renforcement des droits sociaux et des politiques publiques, les transferts de ressources, la croissance de l’emploi, l’amélioration de la sécurité, mais aussi l’éducation, la santé, l’habitat et l’environnement, avec Marina Silva (NDLR : ex Ministre de Lula, devenu chef du Parti vert, Partido Verde).

Il subsiste en effet des problèmes en matière de santé publique et d’éducation. Bien que le droit à la santé soit inscrit dans la constitution de 1988, les services médicaux sont d’une qualité inégale, notamment selon les régions. Il existe des hôpitaux privés. L’Etat providence a aussi favorisé l’école publique, mais la qualité n’est pas au rendez vous. Un passeport a aussi été mis en place pour favoriser la diversité des étudiants à l’université, avec l’ouverture d’un nombre de places accrus (démocratiser l’accès à l’enseignement universitaire aux populations afro-brésiliennes et aux étudiants issus de familles pauvres).

Néanmoins, au final, chaque parti a ses bastions : le sud-est du Brésil continue à voter PSDB et les pauvres PT, comme au Nordeste.

Le Brésil a-t-il progressé dans tous les domaines ?

Il est indéniable que les inégalités ont reculé. 40 à 50 millions de Brésiliens ont changé de statut. Lula est parvenu à ces résultats, sans s’attaquer au capitalisme local, comme le pouvoir des banques. Durant ses mandatures, le MST a continué à se heurter à l’influence des grands producteurs terriens. Comme l’économie brésilienne avait besoin de progresser, les questions d’environnement ont parfois été bafouées, avec des lignes de démarcation parfois au sein même du gouvernement. Les mouvements et les ONG n’ont pas cessé de se mobiliser pendant les deux mandats de Lula en se heurtant au lobbying des intérêts économiques. Néanmoins, cette période a tranché avec la précédente, où les grèves étaient sévèrement réprimées.

De leur côté, les patrons brésiliens veulent faire des affaires. Contrairement aux entrepreneurs vénézuéliens, ils n’ont pas peur et bénéficient d’un cadre favorable à leurs activités. Les chefs d’entreprise brésiliens sont d’ailleurs divisés en termes de préférence politique. A ce titre, les grandes entreprises financent tous les partis. Dilma (Dilma Roussef a été nommée Ministra da Casa-Civil, cad chef de cabinet en 2005 par le président Lula. Elle a été choisie par Lula comme prochaine candidate du Parti des travailleurs aux élections présidentielles brésiliennes d’octobre), qui est une fine technicienne, tient compte de l’avis du patronat.

Pour conclure, Lula est parvenu à casser un cercle vicieux, où les Brésiliens étaient pauvres de père en fils. Des problèmes subsistent comme dans l’Education, mais un premier pas a été fait.

Pour aller plus loin :

Le site de la Fondation Vargas
http://www.fgv.br/

Le monde diplomatique : Políticas sociais como política de Estado
http://diplomatique.uol.com.br/artigo.php?id=563&PHPSESSID=2992afb2cd65c8594faad2ff286459fc

Dynamiques et enjeux des agricultures familiales au Brésil
http://geoconfluences.ens-lsh.fr/doc/etpays/Bresil/BresilScient7.htm


Derniers sondages sur les élections brésiliennes analysés par La Croix et Libération


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