vendredi 16 juillet 2010

Pour IBase, les barrages au Brésil ont un impact sur les riverains et le peuple indigène



J’ai rencontré, avec 11 autres journalistes de l’AJIS, partis en voyage d’étude au Brésil, un représentant de l’ONG IBase (Institut Brésilien d'Analyses Sociales et Economiques) à Rio, Carlos Tautz, le 19 mai dernier. Ce dernier est journaliste et chercheur.

Cette ONG se focalise notamment sur les projets financés par la banque de développement brésilienne, la BNDES. Il apparait selon elle que cet établissement n’a pas pleinement intégré dans ses critères ni l’environnement ni la question des indigènes. Ibase cherche à comprendre le fonctionnement de cette institution, qui agirait dans les faits selon elle comme une banque commerciale, pour discerner quels sont les intérêts politiques en jeux. Elle diffuse ensuite ses observations aux médias et aux mouvements sociaux.

La première partie de son témoignage figure au lien suivant : http://ong-entreprise.blogspot.com/2010/06/long-ibase-scrute-la-politique-de-lula.html

En voici la suite, sur d'autres sujets d’actualité, les barrages et les OGM

Comment avez-vous réagi par rapport au mutisme apparent de la BNDES ?

Si le dialogue est toujours de mise avec la BNDES (banque d’Etat brésilienne qui finance les projets de développement), Ibase a changé de stratégie en cherchant à mettre en avant les populations qui ont subi des dommages, directement liés aux mauvais choix de projets soutenus par la BNDES. Il s’agit d’organiser ces populations. En novembre 2009, nous avons organisé un évènement baptisé « Impacter », Premières rencontres internationales des populations affectées par les projets financées par la BNDES. Nos dénonciations sont ainsi associées aux victimes. Il s’agit non seulement d’impliquer les différentes instances du gouvernement, qui doivent contrôler légalement la banque, mais aussi d’obtenir plus de transparence et des modifications de la politique de crédits.

Avez-vous une illustration de vos propos ?

Le cas de Belo Monte (Belle colline) en fournit un bon exemple. Ce projet de barrage reflète bien une politique qui ne se soucie pas de l’environnement, ni encore davantage des indigènes. Il a seulement été exigé que les entrepreneurs aient une licence environnementale. Or, la banque elle-même reconnaît que dans la plupart des Etats brésiliens, le système de certification environnemental est fragile et corrompu. Quant plusieurs Etats sont concernés, c’est un organe fédéral qui intervient, sinon le dossier est étudié au niveau de l’Etat régional. Dans le cas de Belo Monte, la licence a été octroyée selon Ibase non en raison de certaines garanties environnementales, mais pour des motifs politiques.

La licence mentionne clairement 40 problèmes graves. Le détournement du fleuve Xingu va assécher une partie d’une rivière, où vivent 20.000 personnes, dont 5.000 indigènes. D’autant plus que 100.000 personnes vont être attirées pour réaliser le chantier. Ils vont venir s’ajouter dans la ville d’accueil Altamira, qui compte déjà une population de 100.000 personnes. Cette petite ville présente des problèmes de logement, d’assainissement et de violence. Ces résidents sont eux-mêmes les anciens ouvriers venus sur place pour bâtir un barrage plus ancien, le Tucurui Dam. Le cas n’est pas nouveau au Brésil. En fait, les problèmes se répètent, mais à une échelle encore plus grande. Bien que les problèmes soient clairement identifiés, la banque brésilienne finance les entrepreneurs.

Que sont devenus ceux qui avaient soulevé certains problèmes ?

L’Agence brésilienne de l'environnement IBAMA (Instituto Brasileiro do Meio Ambiente e dos Recursos Naturais Renováveis) avait recommandé de ne pas accordé la licence, mais la présidence de l’agence est passée outre en ignorant le rapport technique. Un directeur de l’Ibama a même été licencié.

Dans le cas du barrage de Jirau, l’équipe technique d’Ibama a soulevé des remarques au sujet de divers problèmes graves liés à l’environnement. Malgré cela, la licence environnementale aurait été accordée de manière bâclée en juin 2009. A cette occasion, un directeur d’Ibama a même été licencié, ainsi que le Secrétaire Executif de l’environnement.

Que pensez-vous des déclarations rassurantes des entreprises sélectionnées pour participer à la construction des barrages?

Concernant le barrage de Jirau, je considère que le discours des entreprises parties prenantes ne dit sans doute pas toute la vérité. Je n’ai pas d’information spécifique sur GDF Suez, mais j’en ai sur le consortium dans lequel le groupe français intervient dans la région. Il est évident quand on jette un oeil sur la carte des sites qu’une construction aussi grande ne peut pas ne pas affecter la population indigène, dont les réserves entourent les sites. On va assister à des migrations dans des bidonvilles les plus proches, dans des zones dangereuses. Pire, une partie de la population n’a même jamais eu de contact avec la population blanche, donc il est impossible d’évaluer les impacts pour eux. On observe de toute part toute une série de dénonciations.

On peut estimer aisément que l’impact pour les riverains, les ribeirinhos, sera considérable. Ils habitent depuis des dizaines d’années sur les berges. Une partie d’entre eux ont reçu une faible indemnisation pour vendre leurs terres et sont désormais contraints de rejoindre les bidonvilles les plus proches. Ces familles sont donc obligées de migrer dans des zones où les indices de criminalité battent des records, en particulier les viols, qui ont explosé avec la construction des usines. L’Etat de Rondônia dispose de peu d’infrastructures sociales, avec notamment des carences en termes de santé et d’éducation. Dans ce contexte, la communication de GDF Suez n’est sans doute pas complètement véridique.

Quels motifs sont mis en avant pour justifier la nécessité de ces grands travaux ?

A vrai dire, le projet Belo Monte constitue une des mesures phares du PAC (Programa de Aceleração do Crescimento, programme d’accélération de la croissance). Ce qui est plus grave, c’est que le Brésil veut construire encore 300 barrages sur l’Amazone à l’horizon 2050 et qu’il avance à marche forcée. Les grands travaux au cœur de l’Amazonie, presque entièrement financés par l’argent public, sont destinés à fournir de l’énergie à des multinationales, intervenant dans la sidérurgie, au secteur minier et à l’industrie chimique.

La programmation d’une surproduction d’électricité aurait pour ultime de favoriser les exportations grâce à une énergie bon marché. Ce modèle économique est ancien, puisqu’il date selon IBase de l’arrivée des Portugais en 1300. Je pense que l’extraction de pétrole pourrait
fournir une alternative.

Ces choix résultent également d’un rapport de force entre l’Etat et la société civile, surtout sur le mouvement indigène, car les indiens ne bénéficient d’aucunes retombées positives de ces grands travaux. Néanmoins, en ce qui concerne Belo Monte, dont les premiers plans ont plus de 40 ans, la société civile a réussi à obtenir des modifications substantielles, qui en réduisent l’impact négatif : remplacement d’une seule centrale par six retenues plus modestes. Il demeure toutefois un impact cumulatif, sans que l’intérêt économique du projet soit avéré. Et, en amont de Belo Monte, il faut d’autres barrages pour permettre la régulation du fleuve. Le gouvernement prétend que le projet a été amendé, mais en vérité, seul le nom du projet a aussi été changé, Belo Monte, pour apparaître plus sympathique et novateur. ll était anciennement appelé Kararaô, un mot indien

Quelle est la position du Brésil sur d’autres sujets chauds dans l’environnement ?

Autre sujet de préoccupation, l’environnement serait la dernière roue du carrosse. Il est trop souvent bafoué en dépit de la législation. A ce titre, Monsanto a réussi à tailler des croupières, soutenu par une série de décisions arbitraires et anticonstitutionnelles. Il ne s’agit même pas d’une légalisation. Le gouvernement brésilien a subi de fortes pressions des entreprises.
Mais, la plus grande partie des profits dans le domaine agricole vient de la vente de pesticides. Le Brésil est aujourd’hui le plus gros consommateur de produits toxiques dans le monde.

Pour aller plus loin sur la polémique:


Deux articles de Libé du 16 avril dernier

http://www.liberation.fr/economie/0101630497-en-amazonie-tirs-de-barrage-contre-gdf-suez

http://www.liberation.fr/economie/0101630499-lula-pousse-la-fee-electricite

La réponse du groupe GDF Suez à Libé
http://www.liberation.fr/economie/0101637980-barrage-de-jirau-les-precisions-de-gdf-suez

Dossier de presse de GDF Suez sur sa présence au Brésil 01/12/2008
http://www.gdfsuez.com/fr/actualites/dossier-de-presse/dossiers-de-presse/

Prix décerné à GDF Suez par des ONG suisses
http://www.publiceye.ch/fr/vote/

RSE : Des entreprises convaincues de l'utilité du panel des parties prenantes
http://ong-entreprise.blogspot.com/2010/03/rse-des-entreprises-convaincues-de.html

Sur les barrages :

Huntingtonnews.net : Shame on Brazil: Stop the Amazon Mega-Dam Project Belo Monte. 11 mars 2010
http://www.huntingtonnews.net/columns/100311-sommer-columnsbrazil.html

Les barrages du Rio Madeira : une certaine conception du développement de l’Amazonie. Décembre 2009
http://www.partagedeseaux.info/article84.html

Youphil : « Relations ONG entreprises au Brésil, grands barrages et développement économique» par Jérôme Auriac et l’équipe de Be-linked. 22/06/2010.
http://ong-entreprises.blog.youphil.com/

Facebook : soutien à Raoni contre le Barrage de Belo Monte
http://www.facebook.com/posted.php?id=118383831515257#!/group.php?gid=118383831515257

De nombreuses autres infos disponibles sur le site de l’association Survival International

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire