mardi 15 mars 2022

Comment intégrer des critères ESG dans la rémunération

 À l’initiative du président de la Commission environnement du Parlement européen Pascal Canfin, une vingtaine de dirigeants de grands groupes, dont Catherine MacGregor (Engie), ou Antoine Frérot (Veolia) ont demandé par courrier à la Commission européenne de réguler les bonus des dirigeants. 

Ils souhaitent que le versement des rémunérations variables aux cadres dirigeants soient soumis à des objectifs environnementaux. 

Dans les faits, ce n’est pas si simple. 

La rémunération variable a longtemps été cantonnée à la force de vente. Pour que les efforts des salariés en matière de développement durable soient récompensés, il faut que l’entreprise ait mis en amont une politique de durabilité et qu’elle soit clairement affichée par les dirigeants. Et, les salariés doivent avoir été sensibilisés aux défis sociaux et environnementaux auxquels l’entreprise est confrontée. 

Dans ce contexte, la rémunération variable devient un outil pour accélérer la transition RSE et mieux infuser les valeurs.

Dans le rapport Rocher, qui a été publié en octobre dernier, il est conseillé de conditionner une fraction de la rémunération variable (cible minimale de 20 %) des salariés et dirigeants d’entreprise à des critères extra-financiers cohérents avec la raison d’être qui a été définie. 

  • Les critères extra-financiers doivent être objectifs. 
  • Les sociétés doivent privilégier des critères quantitatifs. 
  • Ces objectifs concernent des incentives court terme de type bonus annuel (typiquement santé/sécurité) et long terme type « long term incentive » ( ex : réduction des émissions CO2). 

Selon les spécialistes des rémunérations, il faut aussi tenir compte du potentiel de chaque salarié et que tous les salariés aient la même chance d’atteindre leurs objectifs. 

 Dans un rapport dédié aux rémunérations de 2017, l’ORSE invitait également à consulter les représentants du personnel, notamment en cas d’introduction de critères RSE dans les accords d’intéressement. 

Une pratique qui se diffuse 

Selon le panel de la gouvernance édité par EY et Labrador fin septembre 2021, 43 % des entreprises des 100 entreprises sélectionnées du SBF120 ont d’ores et déjà mis en place un système de rémunération variable incitatif basé sur des objectifs pour plusieurs cadres dirigeants (au-delà du Comex). 

Les actions retenues les plus fréquentes sont : 

  • L’accidentologie, 
  • Des critères environnementaux, 
  • La promotion de la diversité avec notamment la féminisation des équipes. 
JCDecaux a ainsi instauré des critères RSE à hauteur de 10% de la rémunération variable de ses responsables nationaux et régionaux en 2017, avec des indicateurs comme la santé/sécurité, l’environnement et les achats responsables. Un nouvel objectif a été ajouté en 2021 lié au plan Equilibre homme-femme du Groupe. 
 
De son côté, le groupe Crédit Agricole a imaginé en 2012 l’indice FReD. Ses trois piliers visent à renforcer la confiance, développer les hommes et l’écosystème sociétal et préserver la planète. Il permet concrètement aux différentes entités du groupe de mesurer l’avancée de certains projets fédérateurs, dont la durée s’étale de 1 à 3 ans. 
 
Rien n’est laissé au hasard : 
 
  • Un audit est effectué chaque année par un cabinet spécialisé pour s’assurer de la fiabilité de l’évaluation. 
  • Les résultats sont ensuite présentés en Comité des rémunérations du Conseil d’administration 
  • Ce qui détermine le versement d’un tiers des différés de rémunération variable des cadres dirigeants de Crédit Agricole S.A. 
Des effets pervers 
 
PWC indiquait en juin dans une publication titrée « Linking executive pay to ESG goals » que 78% des dirigeants considèrent que ce type de dispositif contribue aux valeurs portées par l’entreprise et à sa performance financière. Néanmoins, la société de conseil a repéré certains écueils : 
 
  • Le choix d’un mauvais indicateur par une banque, qui cherche par exemple à réduire ses émissions de gaz à effet de serre la détourne de l’essentiel, à savoir éviter que ses financements se tournent vers des activités polluantes, comme le charbon, une pratique qui a un impact négatif encore plus significatif. 
  • De même, faire entrer une personne issue de la diversité au Comex peut faire oublier de favoriser l’inclusion dans le reste de l’entreprise. 
  • Et, un patron n’a pas forcément besoin d’un incentive pour mener des missions ESG, qui sont par ailleurs exigées par le régulateur, les investisseurs et les agences de notation extra-financière. 
 
La question se pose également du sort d’un salarié qui ne remplirait pas ses objectifs variables liés à la RSE. Cet échec pourrait conduire à se demander s’il partage vraiment les valeurs de l’entreprise, même s’il a bien rempli ses missions relatives à la partie fixe de son salaire. 
 
Joyce Stevenson, analyste ESG chez Mandarine Gestion, se demandait en juillet dernier « si aujourd’hui les critères ESG dans la rémunération variable concernent l’exécutif, la pratique devrait continuer de se développer et s’intégrer progressivement à l’ensemble de l’effectif. En attendant, une meilleure utilisation des critères ESG est souhaitable. » 
 
Pour aller plus loin : 
 
Article d’abord paru le 1er mars dernier sur OCM, l’Observatoire de la compétence métier 
 
Le rapport de l’ORSE 2017 : Critères RSE et rémunérations 
 
Rapport de PWC 
 
AGEFI mars 2021 »L’inclusion de l’ESG dans les rémunérations mérite de vrais objectifs » par Bruno de Roulhac 

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