mercredi 19 avril 2023

Ces biais neuronaux hérités de la Préhistoire qui freinent la transition écologique


On a beau connaître les problèmes de sécheresse et de sexisme, on ne change pas forcément pour autant ses habitudes. Le carbone, on ne le voit pas et on préfère embaucher des clones. L’ampleur de la tâche, la durée des processus en cours, on parle d’Anthropocène commencé à la Révolution industrielle, annihilent les meilleures intentions. 

On a des motifs de satisfactions : on contemple sa pelouse, on aime avoir des fraises toute l’année, on apprécie les livraisons rapides, etc. 

 Il faut dire que notre cerveau est paresseux. Selon les neurosciences, plus de 95% de nos décisions découlent d’automatismes bien huilés. Mais, en nous reposant sur ces derniers, par facilité, nous pouvons nous tromper et nuire aux autres. Face à une situation complexe, notre cerveau s’attache à des explications intuitives, qui s’adaptent à nos croyances. 

Dans le domaine du raisonnement, ces stéréotypes sont renforcés par le phénomène de « bulle informationnelle », qui nous pousse à nous enfermer dans un univers où toutes les infos vont dans le même sens. De même, il est tentant de vivre confortablement dans une communauté homogène.

D’après les experts, il existe quatre types de biais cognitifs : 

  • les biais qui découlent de trop d'informations, 
  • le manque de sens, 
  • la nécessité d'agir rapidement 
  • et les limites de la mémoire. 

 Source du graphique : Fiche technique N°3. Projet Emploi et Handicap. Maroc, Tunisie, Bénin, Sénégal : Stéréotypes, biais cognitifs et discrimination d’Handicap International et Humanité et Inclusion. Juin 2020. 

Le savoir peut aider la personne à interroger son rapport à l’information, pour prendre de la hauteur gagner et agir au mieux. 

Les journalistes français ont pris collectivement conscience de leurs responsabilités. Ils insistent ainsi de plus en plus sur l’origine des catastrophes naturelles ou des vagues de chaleur. 

L’important semble la qualité de l’information avec des liens clairement établis entre les événements, la simplicité aussi sans doute, voire la proximité pour bouger à son échelle sans être bloqué par la culpabilité ou la peur. Les infographies peuvent faciliter la compréhension des enchainements.

Mais, être informé ne suffit pas. 

 

 Deux entités complémentaires dans le cerveau : le pilote automatique et le cerveau conscient.

Le pilote automatique : 

C’est la partie du cerveau qui prend des décisions ultra-rapides mais de manière innée via des raccourcis cognitifs. Ce fonctionnement facilite la vie quotidienne au prix de peu d’efforts. Plus de 95% de nos prises de décisions quotidiennes sont traitées par lui, avec des routines s’arrêter à un feu rouge ou aller tous les jours à la machine à café à la même heure. 

Certains chercheurs avancent que le cerveau humain prendrait environ 35.000 décisions par jour. D’après Huawei, seulement 0,26% des décisions prises par les individus seraient conscientes, alors que ceux-ci pensent être clairement à l’origine de 92% des décisions prises. 

D’après Huwei, les Suisses interrogés estiment ainsi prendre 9 décisions par jour concernant la nourriture, mais en vérité le cerveau en prendrait jusqu’à 221 décisions par jour à ce sujet. 

Pourquoi ? 

Depuis la Préhistoire, le cerveau cherche à favoriser la survie et la reproduction. Comme mémoriser les points d’eau et éviter le repère des prédateurs. Mais, cela peut, parfois déboucher sur des conclusions hâtives et rigides, pas adaptées au contexte ou au besoin d’évoluer. Comme acheter une maison sur un coup de foudre, mais en zone inondable. 

De même, les stéréotypes entraînent sans un bruit de la discrimination. 

Or, on ne résout pas l’explosion du CO2 d’une fulgurance de notre cerveau automatique. 

Le cerveau conscient : 

Plus lent, il peut nous permettre de ne pas rester en surface en évaluant tous les aspects d’une décision. Plus flexible, il est utile pour s’adapter à la nouveauté ou l’inconnu. Mais, toute demande énergétique doit être justifiée : cela doit valoir la peine. La maîtrise du feu, l’invention de la roue et la grotte de Lascaux viennent de nos cerveaux conscients. 

« Les humains sont très mauvais pour comprendre les tendances statistiques et les changements à long terme.» pour Conor Seyle, Directeur de recherche à la One Earth Future Foundation (source BBC) 

 « On retient plus des dangers faciles à mémoriser comme le terrorisme que des menaces plus complexes, comme le changement climatique. Notre cerveau cherche depuis la nuit des temps à ce que nous soyons bien nourri et à avoir un toit. Ces fonctions nous sont devenues moins utiles dans le monde moderne. Pire, ces biais freinent notre capacité à prendre des décisions rationnelles face aux nouvelles menaces. » 

Les gens ont envie d’agir. 

Mais, on a du mal de basculer du savoir ou de l’envie à l’action. Changer et établir de nouvelles connexions demande de la volonté. Une fois qu’un fumeur comprend que la plupart de ses mégots finissent dans la mer ou dans ma nature, là où il passe ses vacances avec ses enfants, il lui reste à prendre le pli de ne plus les jeter dans la rue. 

Mais, bonne nouvelle, plus ce comportement vertueux est activé, plus il passe en mode automatique. 

Quels sont ces biais qui nous paralysent ?

  • Biais d’inertie : résister à un changement, voir une nouveauté par ce qu’ils demandent beaucoup d’efforts, des remises en cause, voire une menace,…Exemple : pourquoi investir dans les EnR alors que les énergies fossiles ont fait leurs preuves à un coût abordable.
  • Biais de confirmation : Nous ne retenons que les informations qui valident ce qu’on fait déjà. Et, considérer les autres comme ambiguës ou négligeables. Selon le réalisateur Raphaël Hitier, Documentariste scientifique pour Arte, « L’analyse en imagerie cérébrale montre que notre cerveau ne prend même pas la peine de traiter les informations qui contredisent notre vision du monde. Il ne les évalue pas. Difficile de changer d’avis dans ces conditions… » 
  • Biais de surconfiance : surestimer ses connaissances ou compétences dans un domaine et minorer tout ce que l’on ignore encore. Ex : Il y a toujours eu des cyclones en Floride. 
  • Biais du temps présent : Privilégier l'option la plus agréable à court terme, même si ses bénéfices à long terme ne sont pas avérés. On se soucie plus de sa propre famille, plutôt que des « générations futures », qui restent trop abstraites pour tolérer certains sacrifices. Exemple : s’acheter un nouveau smartphone à la mode plutôt que réparer l’ancien, qui va prendre plus de temps. C’est le contraire du principe de l’investissement ou des taux d’intérêt qui offrent une récompense future.
  • Biais de disponibilité mentale : tirer une conclusion d’après le dernier élément observé dont on dispose aisément sur une question. Exemple : il fait froid ce matin. 
  • Biais de « compensation morale" : valoriser une bonne action, même minime, et occulter nos actions non-responsables. Ex : acheter une gourde, mais continuer à rouler en 4X4. 
  • Biais de "pseudo-inefficacité" ou biais du « spectateur » : Je comprends le problème, mais j’estime que mon action individuelle n’a pas d’impact notable sur la résolution d’un problème systémique. Dès lors, je m’autorise à ne rien entreprendre. C’est aux gouvernements et aux grandes entreprises de s’en occuper. "Pourquoi réduirais-je mes vols long-courriers si d’autres prennent des jets privés comme moi le métro ?" 
  • Biais "d’optimisme » ou de « surconfiance »: Les individus ont tendance à être trop optimismes quant à certains résultats et à sous-évaluer la survenance de mauvaises nouvelles. Ex : croyance dans la capacité de la technologie et de la science pour résoudre tous les défis futurs. Ou croire qu’ils seront moins touchés que la moyenne, ce qui permet de balayer les scenarios pessimistes. Ex : à quoi sert la prévention, je suis bien assuré. 
  • Biais de mémoire : la personne ne se souvient pas bien de certains événements ou ne se souvient que des bonnes choses. On ne se rappelle pas la canicule de l’été dernier, mais des sauts dans la piscine. Cela complique la prise de conscience de certains changements dans notre environnement familier (artificialisation des sols, fin des hivers rigoureux, etc.) Ce biais pousse à prendre les problèmes moins au sérieux, voire à être climato-sceptique. 

 Ici la vidéo de la youtubeuse La Psy Qui Parle,  Elle présente 5 biais liés à l’inaction en faveur de l’environnement.

 
  
 
Les conditions de réussite
 
Notre cerveau a besoin de « récompenses », qui génèrent de la dopamine, ce qui est par exemple le cas de l’altruisme ou de faire des choses qui sont acceptées au sein d’un groupe. L’effort individuel et le besoin du collectif se complètent pour survivre. La récompense, liée au passage à l’action à bon escient, est la meilleure réponse à apporter à une menace. 
 
Présenter les solutions comme étant positives facilite la transition, la perspective de la fin du monde étant peu mobilisatrice, voire inaudible. Il vaut mieux vanter le train que parier sur la fin des avions. 
 
Mais, non seulement il faut comprendre l’information, mais il faut la passer au niveau de la conscience. 
 
L’attention doit permettre de faire le tri pour repérer ce qui est important, parfois ce qui est répété ou qui génère des émotions. C’est pourquoi les climatologues et les équipes RSE ne doivent pas hésiter à ramener souvent certains sujets sur le billot pour débloquer les choses et provoquer un ancrage. Lors de la pandémie, les antivax ont fait de la résistance, du fait de nombreux biais.
 
Mais, notre cerveau a besoin de simplicité. Que l’action ou le geste soit à son échelle et que le collectif fonctionne. L’important, c’est de commencer, de passer du point mort à la première, d’avoir une inertie du mouvement pour contre le biais du statu quo. 
 
Et, comme Saint Thomas, il faut voir les impacts, que cela soit tangible. Diriger par objectif avec un cap pour répondre au problème identifié constitue une bonne méthode, d’où l’existence d’indicateurs pertinents suivis dans le temps, avec des moyens dédiés à la clé. Mais, tout n’est pas mesurable.
  • La RSE c’est une mentalité, pas que des actions. La perception des impacts donne du sens. 
  • Avoir envie d’agir comprend deux dimensions, mentale et émotionnelle. 
  • Et prendre conscience de la responsabilité individuelle et collective, et l’interaction entre les deux pour le bien commun. Difficile de changer le monde tout seul. 
  • La transformation peut passer par le jeu, le théâtre, la réalité virtuelle, l’intelligence collective, des challenges, etc.. 
  • Il faut du temps et de l’argent pour faire évoluer les mentalités. 
  • Certains imaginent également des nudges verts pour influencer les pratiques en douceur, faire adopter les bons gestes. 
Pour Renata Coura, Présidente Fondatrice de l’Empowerment Center, et qui a un Doctorat en Neurosciences à l’Institut Pasteur 
"Une entreprise ne peut pas se contenter d’un objectif utilitariste, il faut aussi souvent changer le management et la gouvernance."
Des publics variés 
  • Les jeunes sont les plus conscients des enjeux environnementaux. Mais ils sont impatients et n’ont pas toujours la force de modifier leurs comportements. Ils apprécient les vols low cost et consomment énormément de burgers. 
  • Il faudrait aussi étudier si des biais freinent aussi nos décideurs. La révolte des Gilets Jaunes a surpris. Une prise de risque jugée trop forte peut générer de l’immobilisme concernant des mesures souhaitables, mais impopulaires. Les politiciens doivent gérer leur cote de popularité avant de se présenter aux urnes. D’où l’utilité de la planification basé sur des objectifs largement partagés. 
  • Dans l’entreprise, la RSE mobilise des ressources à court terme pour des bénéfices parfois lointains. Au-delà des KPI, il faut une dynamique. La rémunération ESG des cadres dirigeants, véritable récompense sonnante et trébuchante, tente d’intégrer le bien commun dans une logique extra-financière. Mais, comment pivoter durablement avec des publications de résultats trimestriels ? 
  • Ce qui peut vouloir suggérer que pour transformer, il faut adapter son approche selon les publics, qui n’ont pas tous le même degré de compréhension de l’urgence des sujets. Un chasseur, une cadre dirigeant de la Défense ou une professeur des écoles n’ont pas forcément les mêmes idéologies et valeurs. Ils ont des rapports différents à la planète et au capital naturel. De même, il existe une vraie polarisation idéologique aux Etats-Unis sur la question du dérèglement climatique. Certains s’y cramponnent encore au charbon. 
  • Comment éviter les biais dans l’IA ? Comme l’exploitation du prénom, de l’adresse ou de l’âge dans le recrutement ou dans le fundraising via des robots automatiques ? 
 De plus, de nombreux acteurs cherchent à capter notre attention pour nous influencer. Cité par France Info, Arnaud Pêtre, chercheur en neuromarketing officiant à l'Université catholique de Lille, a écrit en 2007 :
"Si nous considérons la publicité dans un sens très large (...) nous serions exposés à pas moins de 15.000 stimuli commerciaux par jour et par personne, dont 2.000 publicités". 
 Il ne travaille plus sur ce sujet, mais considère la prégnance d'Internet dans nos vies laisse penser que l'on devrait plutôt aboutir, en 2019, à une estimation encore plus haute. 

Pour aller plus loin : 

Blogueur RSE, je suis aussi journaliste freelance. J'interviens en conseil éditorial et fournis du contenus pour des blogs, newsletters, rapports, etc. Je suis joignable au hduhalgouet@hotmail.fr 

Je serais enchanté d'échanger avec vous. Herrick 

Frédérique Chalony est partenaire de l’Empowerment Center et l’invitée spéciale de Renata Coura pour un webinaire. Elle est la fondatrice de Manitaria, spécialiste de la RSE, qui accompagne les entreprises pour faire émerger des solutions responsables par l’expérimentation et l’intelligence collective.

  

Comment les convictions politiques aux Etats-Unis impactent la vision des questions d’environnement chez les électeurs : “A framework to address cognitive biases of climate change” https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0896627321006267 

Bon Pote. 2023. Climat : les 12 excuses de l’inaction, et comment y répondre https://bonpote.com/climat-les-12-excuses-de-linaction-et-comment-y-repondre/

Casser les biais en promenant son chien. Le Monde. Avril 2023.

https://bit.ly/41XWhGt

 

Pour les ONG, le football n’est pas qu’un sport de millionnaires individualistes (2010)

 http://ong-entreprise.blogspot.com/2010/07/pour-les-ong-le-football-nest-pas-quun.html 

 

  Le reste

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