jeudi 17 juin 2010

Les produits partage restent l’apanage des grandes associations et des multinationales

Pour cette 14ème édition des Alter mardis : Parlons Solutions, Ashoka et le Groupe SOS ont fait découvrir au public le fonctionnement des produits-partage et les questions que ce procédé en vogue soulève. Sur le thème suivant : "Produits-Partage : la générosité au secours du marketing ?" Avec quatre invités, Christine Tabuenca (Sidaction), Nathalie Madeline (BNP Paribas), Sylvère Piquet (UDA) et Bertrand d’Halluin (Solidaime).



Sylvère Piquet, Docteur en science de Gestion, membre de l’Union Des Annonceurs (UDA) et auteur de plusieurs ouvrages sur le mécénat d’entreprise, est revenu sur les origines des produits partage (en anglais cause related marketing, en ab. CRM). Il s’agit d’un concept anglo-saxon, né dans les années 80 aux Etats-Unis, à une période d’explosion des politiques promotionnelles. Il a ensuite, selon Sylvère Piquet, débarqué en France « pendant les années fric, le culte de la performance, marquées par l’ascension de Bernard Tapie ». Il s’agit d’une action commerciale où une entreprise et une association s’accordent dans le but d’obtenir un bénéfice mutuel. Cette technique n’est donc pas un don, puisqu’il y a une contrepartie. Il ne s’agit pas non plus de patronage ou de sponsoring. L’opération promotionnelle Evian/Croix Rouge, qui a porté sur 300 millions de bouteille, avec un don de 10 centimes par bouteille, une somme doublée par Danone, aurait rapporté 2 millions de francs au groupe alimentaire. Il fallait néanmoins que le consommateur se manifeste, en retournant une étiquette à Danone.

Dans un sondage réalisé en 2004 en Grande Bretagne et aux Etats-Unis, 48% des consommateurs interrogés avaient déclaré avoir changé de marque, avoir augmenté son usage ou se poser des questions sur de nouveaux produits à la suite d'une campagne de CRM. (Business in the Community, Brand Benefit Survey, 2004). La moitié des consommateurs déclaraient à la même époque voir plus positivement la société, sa marque, ses produits et services, concernant celles engagées dans une opération de CRM.

Les entreprises y trouveraient aussi leur compte sur le plan sociétal. Directrice de Business in the Community, une organisation britannique à but non lucratif, qui promeut les pratiques responsables dans le monde des affaire, Sue Adkins considère que le cause-marketing s’insère parfaitement dans une démarché RSE. Pour elle: « Le CRM ajoute une dimension supplémentaire à la marque. Il créé chez le consommateur par la même occasion des émotions et un engagement rationnel vis-à-vis de la marque. Et fournit la démonstration de la responsabilité sociale de la capacité de la compagnie, ses valeurs et son éthique».

Pour le Sidaction, les produits partage restent assez marginaux. Ils n’ont été mis en place que depuis 2 ans, alors que l’association a 15 ans d’existence. Malgré des marques partenaires phares comme Hermès et Aubade, ils n’ont généré d’ailleurs que 150.000 euros de recettes sur un budget de 20 millions d’euros. Ces promotions constituent une véritable opportunité, même si toutes les causes ne sont pas égales. Dans le cas du Sidaction, le sexe, l’homosexualité et un parisianisme bobo, peuvent freiner l’entreprise, qui peut avoir peur d’être considérée comme une « entreprise gay ». Pourtant, l’association reçoit de nombreuses propositions de partenariat, une quinzaine par jour, en raison de sa notoriété montante, mais aussi de celle de son Président Pierre Berger.


Concrètement, pour Christine Tabuenca, Directrice Collecte et Communication de Sidaction, son association se considère comme une marque, donc une marque cela s’achète. L’association demande donc à l’entreprise un revenu plancher, au minimum 5.000 euros, puis des reversements par pallier, en fonction de la visibilité plus ou moins importante. Pour que l’accord soit gagnant-gagnant, le Sidaction ne s’engage également que s’il partage des valeurs avec l’entreprise. Il ne serait pas question de faire la promotion d’un sex-toy, si les préservatifs n’y étaient pas associés. De même, pour l’association, les salariés de l’entreprise doivent s’approprier le partenariat. Aux salariés de faire la promotion de ces produits, comme dans le cas de la carte de fidélité de l’entreprise Redskins, qui a généré pour l’association environ 20.000 euros.

Prudemment, Sidaction cloisonne ses différentes sources de recettes. Ainsi, les donateurs habituels ne sont pas sollicités pour acheter des produits partage. Pourtant, son fichier de 1,2 million de donateur fait rêver les entreprises.

Les ventes sont suivies sous forme d’un compte emplois-ressources, soit sous forme d’un reporting journalier des ventes, prévu dans la convention de partenariat. De son côté, le Sidaction s’engage sur l’utilisation des fonds, qui ne peuvent pas ainsi venir amortir les frais de fonctionnement.

Compte tenu du caractère luxueux des promotions jusqu’ici mises en place, Sidaction est soutenu par des acheteurs de 45 à 50 ans, CSP+. Il est très difficile de fidéliser les consommateurs les plus jeunes, qui ont d’autres projets à ce moment de la vie. Face à la déferlante des produits partage et du marketing direct, Christine Tabuenca a conscience que «les consommateurs-donateurs en ont ras le bol. C’est pourquoi une ONG comme Sidaction doit être capable de communiquer sur son originalité. » La concurrence est très présente.

Red Nike






Partenaire du Sidaction, BNP Paribas a aussi lancé discrètement un service baptisé Simplidons, qui permet de virer des fonds à une association humanitaire parmi une sélection de 8 ONG très connues. Il s’agit de virer tous les mois de petites sommes, à partir de 1 € par mois dès lors que le solde en fin de mois sur le compte courant dépasse un certain seuil. Le procédé est indolore. Ce service, dont un responsable marketing de la banque est à l’initiative, n’a pas été promu par la banque. Pour le faire connaître, il faudrait y allouer un minimum de budget. Il figure toutefois dans la rubrique « Bon plan » du site Internet du groupe financier.

Ce service, qui ne rapporte rien à la banque, est considéré par Nathalie Madeline, comme une partie intégrante du service bancaire. Il s’agit moins d’une promotion commerciale que d’un nouveau système de microdons. Pour Sylvère Piquet, ce genre d’opération par un établissement financier, constitue un outil de fidélisation.

Pour Nathalie Madeline, Chef de produit marketing des particuliers chez BNP Paribas, le choix des ONG bénéficiaires de cette manne n’a pas été simple. Il a fallu éviter une dispersion des dons, mais aussi sélectionner des ONG relativement neutres, pas trop marquées. Sur son site, la banque française recommande même aux internautes de consulter IDEAS, une association à but non lucratif, qui présente 100 associations et fondations : pour savoir qui fait quoi, et comment. BNP Paribas sait en effet qu’elle cautionne les ONG avec qui elle coopère, qu’il s’agisse notamment de la santé financière, mais aussi de la moralité. BNP Paribas pourrait aussi par ailleurs se lancer dans les cartes co-brandées, comme l’ont déjà fait American Express, pionnier en la matière, et la Société Générale.

Chez Solidaime, on a fait le constat que les consommateurs cherchent à donner du sens à leurs actes d’achat, qu’ils conscientisent, comme l’illustre l’essor du commerce équitable. Les produits alimentaires ont été choisis pour lancer l’activité de cette association. L’association Solidaime, qui n’est pas un label, est propriétaire de sa marque. Les partenaires industriels (Alpina Savoie, France Champignon, Bonduelle, groupe Soufflet, Laïta et Continental Nutrition) viennent d’ailleurs renforcer cette marque, notamment sur le plan de la notoriété mais aussi sur la qualité des produits partagés.

Solidaime est né de l’amitié d’Hervé Raby et de Bernard d’Halluin. Le premier est un homme de communication, qui a crée et dirigé le groupe de communication Netco à Lille pendant 20 ans. Le second est issu de l’agro-alimentaire. Il aurait été à l’origine d’un produit qui lutte contre le cholestérol : les produits Primevère. Bertrand d’Halluin, Président et Co-fondateur de Solidaime considère que son action va mettre du temps à prendre de l’ampleur. « Les consommateurs doivent tester les produits distribués, reconnaître la marque du fabricant et celle de l’ONG bénéficiaire, pour avoir confiance dans Solidaime. Contrairement à une campagne promotionnelle, les accords entre Solidaime et une entreprise agro-alimentaire s’inscrivent dans la durée. Les produits sont mis en vente tout le long de l’année. »

Ses produits s’inscrivent sur le segment de prix intermédiaires, celui des marques distributeurs. La marque de l’ONG se situe en retrait. L’association perçoit 2,5% du chiffre d’affaires généré par ces produits : le montant reversé figure clairement sur l’emballage. En un an d’existence, l’association a déjà reversé 240.000 euros à diverses causes. Mais, il ne s’agit que d’un début, car le potentiel est énorme. Le café équitable dispose déjà d’une part de marché de 4 à 5%. Les mêmes chiffres étendus à d’autres produits solidaires pourraient générer des millions d’euros à l’horizon 2015. Il faut aussi convaincre les distributeurs. Solidaime travaille pour le moment principalement avec Auchan et Simply. Il faut tenir compte de l’histoire des circuits de distribution. Alors qu’Auchan est le fruit d’une saga familiale, Carrefour est un groupe coté en Bourse. Chaque distributeur doit être approché un par un.

Les partenaires industriels de Solidaime fournissent à l’association un reporting mensuel de leurs ventes, mais cette dernière a aussi la possibilité de réaliser des audits. Les consommateurs sont informés du suivi des opérations sur le site Internet de l’association. L’association est soutenue par des acheteurs relativement jeunes, entre 35 et 40 ans et CSP+. D’après une étude auprès des consommateurs, Solidaime s’est aperçu qu’elle allait sans doute devoir améliorer la qualité de ses produits, quitte à augmenter le panier moyen. Par contre, proposer en plus de la solidarité, des produits bios, serait trop coûteux.







Dans la salle, un collaborateur d’Antoine Vaccaro a rappelé que l’association avec une entreprise commerciale peut avoir un impact sur l’image de l’ONG. La Ligue contre le Cancer a ainsi refusé de s’associer pour la promotion d’une carte révolving (NDLR accusé par de nombreuses ONG de provoquer le surendettement). Cette décision s’est faite au niveau de son conseil d’administration. Il faut une cohérence entre le produit et l’objet de l’association. En effet, la quête de fonds peut embarquer les organisations non lucratives sur des terrains mouvants. Par exemple, l'American Medical Association (AMA) a rompu en 1997 un accord de CRM avec Sunbeam Corporation, après que ses membres aient décidé qu’il ne correspondait pas à sa mission sociale. Il s’agissait de produits comme des coussins chauffants et des humidificateurs. Sunbeam ayant porté plainte pour rupture de contrat, l’ONG a du s’acquitter d’une amende d’environ 10 millions de dollars pour paiement compensatoire et frais juridiques. Bertrand d’Halluin, Président et Co-fondateur de Solidaime, rejoint ce point de vue. Ainsi le produit Solidaime Multi croquettes, produit par Continentale Nutrition, est associé aux « chiens guide d’aveugles », un produit solidaire distribué chez Truffaut et Animalis.
Au final, les produits partage font vendre, mais ne font pas l’unanimité. Les frais de publicité liés à ces opérations dépassent souvent les sommes reversées aux associations. Concernant les industriels, le souci de la communication est aussi au cœur de la démarche, comme en témoigne le partenariat entre Danone, Carrefour et les Restos du Cœur. Selon Ethikenblob, «à chaque article publié sur un blog pour relayer l'opération de partenariat entre les marques de Danone, Carrefour, et Les Restos du Coeur... 10 repas de plus sont offerts à ceux qui aujourd'hui ont besoin des Restos du Coeur! (Offre limitée aux 100 premiers articles). » Cette initiative a généré plusieurs milliers de posts début 2009.

Pour Sylvère Piquet, les ONG se lancent de plus en plus dans les activités commerciales. Le Musée du Louvre s’exporte contre royalties et bakchich. On assiste à un effacement des frontières. Une remarque que l’on retrouve aussi dans ce que certains observateurs appellent le charity business. Côté anglo-saxon, on considère dans une partie du monde associatif que l’achat d’un produit partage risque de se substituer à un engagement associatif. Et que les bénéfices retirés par les deux parties sont déséquilibrés, au profit essentiellement du partenaire industriel.

A ce titre, certaines associations contactées par Solidaime n’ont pas voulu s’engager dans le projet pour diverses raisons : ne pas mélanger les genres, ne pas effrayer les donateurs, garder une indépendance financière. De son côté, le Secours Catholique considère que cette technique de promotion est chronophage.

Selon Alain Chauveau et Jean-Jacques Rosé, auteurs en 2003 d’un ouvrage pionnier intitulé « l’Entreprise responsable » aux Editions d’Organisation « Il semble qu’il n’y ait qu’en France que le CRM fonctionne assez mal : seulement envisagé comme un outil promotionnel et accaparé par les agences spécialisées dans ce domaine, il n’est utilisé qu’en dernier recours, le plus souvent, quand les astuces promotionnelles classiques ont été épuisées. La plupart du temps, ce sont des actions one shot, déconnectées de la politique de mécénat de l’entreprise et donc artificielles… ».

En France, le WWF et l’Unicef sont les deux acteurs du secteur associatif, qui recourent le plus aux produits partage. Il se révèle aussi que les plus petites associations sont exclues du jeu, ou tout du moins les moins connues. En effet, les multinationales souhaitent s’associer à de « grandes causes ». De plus, une trop petite association aurait du mal à trouver un accord équilibré avec une grande firme. Il faut qu’un bon rapport de force se mette en place pour éviter les dérapages. En dehors des associations, certaines grandes fondations collectent également des fonds par ce biais. Comme la Fondation d’Auteuil, avec l’opération « Festival de l’espérance » lancée en juin 2008 par le groupement de meuniers Festival des Pains et à laquelle ont participé 250 boulangeries en France.

Au final, le bien fondé et le succès de ce type de coopérations, souvent ponctuelles, revient aux consommateurs. Dans les pays anglo-saxons, il ne semble pas y avoir encore de lassitude, mais chaque achat se fait au cas par cas. Toutes les promotions partage ne répondent pas non plus aux attentes commerciales des industriels en termes de vente. Il ne s’agit pas d’un produit miracle et la cohérence entre le produit, l’entreprise et l’association sont une clé d’une bonne acceptation par le marché, le personnel de l’entreprise et par les adhérents de l’association.

Un point de vue nuancé, celui de Julian Parr. Regional Manager at Oxfam. New Delhi Area, India







Pour aller plus loin :

Le site de Solidaime
http://www.solidaime.org/

Présentation du fonctionnement de Simplidons
http://www.bnpparibas.net/banque/portail/particulier/Fiche?type=folder&identifiant=Dons_aux_associations_et_fondations_20050323101656

La Red Campaign de Bono a levé 130 millions de dollars depuis sa création
http://ong-entreprise.blogspot.com/2009/09/la-red-campaign-de-bono-leve-130.html

Les patrons de demain devront avoir une vision, être responsables et mieux intégrer toutes les parties prenantes
http://ong-entreprise.blogspot.com/2010/02/les-patrons-de-demain-devront-avoir-une.html

L’expérience du Rire Médecin
http://ong-entreprise.blogspot.com/2010/04/activa-capital-soutient-la-creation-de.html

Fiscalité des produits partage, un dossier réalisé par la Société Générale
http://associations.societegenerale.fr/EIA--Le_point_sur_les_fonds_socialement_responsables__Et_les_produits___partage-sv-asso-rq-lettre_t-l-32.html

L’analyse plus développée de Sylvère Piquet sur 15 pages (PDF)
http://www.escp-eap.net/conferences/marketing/pdf/piquet.pdf

3 commentaires:

The Greenwasher a dit…

Ta réflexion est très intéressante. Tu cites l'Unicef et WWF qui sont loin d'être des associations ordinaires. Si le partenariat profite à des grandes associations et des multinationales, c'est qu'elles sont avant tout des marques. Les petites associations de l'économie sociale et solidaire, multiples et diverses, défendent un modèle adapté au terrain, avec les difficultés que cela implique au quotidien, et je veux bien croire que certaines se demandent quel est le retour sur investissement dans ces activités de promotion.
Les associations ont besoin de fonds, c'est un fait, mais elles savent aussi que la communication passe après l'action.

Sağlık haberleri a dit…

Très bon site. Merci aux contributeurs....

Dev'assos a dit…

Reflexion intéressante. il est tout à fait exact que le produit partage est essentiellement l'apanage des grandes causes et des grandes marques. Tu as tout à fait raison de souligner les risques qui peuvent pèser sur ce type de mécanisme. Bravo pour ton site

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