mercredi 20 janvier 2021

Pourquoi il est important que la Nature ait une valeur marchande



De Patagonie jusqu’à Nuuk, en passant par Pékin et les atolls de Tuvalu, tout le monde s’accorde aujourd’hui sur l’existence du réchauffement climatique. 

Néanmoins, il aura fallu du temps pour que l’urgence climatique fasse son chemin, ce qui nécessite aujourd’hui de redoubler d’efforts. 

Dans le même temps, la protection du vivant est restée dans un angle mort. 

Il faut donc souligner la tenue récente du 4ème sommet One Planet intégralement dédiée à la biodiversité. Les trois premiers sommets, avec une première édition en 2017, avaient porté sur le changement climatique. 

Il s’agit d’un processus lent, puisque le terme d’écosystème a été créé en 1935 par le botaniste britannique Arthur George Tinsley. Et, si cette thématique a pris de l’ampleur depuis les années 1970, des chercheurs en sont venus depuis 20 ans à tenter de quantifier tout ce que le vivant nous apporte. Ce qui a permis d’en rendre plus concrets les enjeux sous-jacents. 

La Nature, plus grosse usine de la planèt

En 2005, l’Évaluation des Écosystèmes pour le Millénaire (ou MEA pour Millennium Ecosystem Assessment), a permis de mieux mesurer comment l'évolution des écosystèmes impacte le bien-être humain. Elle a été menée sous la coordination du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), avec la contribution de plus de 1.300 experts du monde entier. Ces chercheurs proposent une nouvelle vision des articulations entre la nature et les sociétés humaines. Ils ont identifié 4 grandes catégories de services que rend spontanément la nature au genre humain. 
  • Les services d’approvisionnement/production : ce qui nous permet de nous nourrir et de nous donner des ressources (bois de construction, poissons, accès à l’eau et à la fibre, etc.) 
  • Les services de régulation, qui affectent le climat, les inondations, la maladie, les déchets. Les plantes nettoient l'air et filtrent l'eau, les bactéries décomposent les déchets, les racines d'arbres maintiennent les sols en place. • Les services de support ou d’auto-entretien : ce qui permet aux écosystèmes de fonctionner correctement (cycle de l’eau, formation des sols, …). Cette catégorie est souvent fusionnée aux services de régulation. 
  • Les services spirituels ou récréatifs : ce qui nous touche en tant qu’être humain (beauté des paysages, spiritualité, etc.). 
Cette vidéo qui date de 2014 en présente une bonne synthèse. Eric Blanchart, chercheur à l’IRD, répond aux questions d’une école d’agronomie.

   

Il apparait que les écosystèmes sont essentiels à la vie. Mais, leur apport reste largement invisible. On ne cherche pas à savoir leur rôle exact quand ce qui nous entourne tourne tout seul. Cela semble normal de respirer un air pur. 

 De plus, jouir librement des écosystèmes est gratuit. On ne paye pas pour montrer des marmottes à ses enfants en montagne. Or, comme le dit l’adage, ce qui est gratuit n’a pas de valeur. Ce n’est que quand la Nature se dégrade qu’il faut sortir son carnet de chèques. 

 Le symbole de la pollinisation 

C’est ce que montre la vidéo des arboriculteurs du Sichuan, dont la production n’est plus assurée par les insectes, mais par des « hommes abeilles ». 

 

C’est aussi le cas aux Etats-Unis où la population d’abeille se révèle parfois fragile. Une société comme Drone Copter a même imaginé un drone pour aider la pollinisation de certaines exploitations produisant des amandes, des cerises et des pommiers. 

On le voit, l’homme se voit contraint le cas échéant de pallier le mauvais rendement de la Nature par un système couteux et chronophage. 

La mauvaise qualité de l’eau, un « bien commun », tue des milliers de personne tous les ans. 

De même, pendant le confinement et la contrainte de ne pas dépasser le kilomètre, de nombreux citadins n’ont plus accès à la verdure avec des conséquences parfois dramatiques en termes de santé mentale. 

 Des chiffres qui font tourner la tête 

Si l’intuition porte à croire que le bon fonctionnement des écosystèmes est souhaitable, des chercheurs ont réussi à chiffrer leurs services : 
  • selon les études, entre 40% et 50% de l’économie mondiale reposerait sur les produits et les processus écologiques. 
  • dans un rapport de 2019, l’OCDE indique que la valeur des systèmes écosystémiques a été estimée entre 125.000 et 140.000 Mds$ par an, soit plus d’une fois et demie le montant du PIB mondial. A titre de comparaison, la capitalisation boursière de Wall Street est de plus de 22.000 Mds$. 
  • Pour l'économiste indien Pavan Sukhdev, auteur en 2010 d'un rapport sur la valeur économique des services rendus par la nature, l'érosion de la biodiversité coûte entre 1.350 et 3.100 Md€ par an. Pour ce dirigeant du WWF International, le coût de l’inaction et de la dégradation des services écologiques représenterait jusqu’à 7% du PIB mondial par an en 2050. 
Compte tenu de l’importance de ses travaux, Pavan Sukhdev s’est d’ailleurs vu remettre en 2020 le prix Tyler 2020, en même temps que la biologiste de la conservation Gretchen C. Daily. Cette distinction est souvent présentée comme le « prix Nobel de l'environnement » 

Une Nature abimée 

Le Millenium Ecosystem Assessment (MEA) estime à 60% les services écologiques menacés de dégradation. 

D’après le Comité Français de l’UICN, durant ces 50 dernières années, 
  • près d’un quart des sols de la planète et un cinquième des terres arables ont été dégradés. 
  • la moitié de la production photosynthétique de la planète a été consommée,
  • ainsi que plus de la moitié des réserves d’eaux douces. 
 D’autres travaux complètent ce tableau : 
  • entre 2004 et 2017, 43 millions d’hectares de forêt auraient été perdus dans le monde, selon un rapport sur la déforestation publié en janvier par le WWF. 
  • plus de 40 % de ces écosystèmes à la frontière des milieux terrestres et aquatiques se sont dégradés en dix ans en France, selon une étude du ministère de la Transition écologique. A peine un site sur dix est en meilleur état. 
La perte de biodiversité, dont la disparition progressive d’espèces est le phénomène le plus souvent mis en exergue, affecte inégalement les populations. 
  • les experts viennent aussi de montrer un appauvrissement des sources d’alimentation en montagne (rapport de la FAO, le Secrétariat du Partenariat de la montagne et la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification). Or, le nombre de personnes vivant dans les zones montagneuses et exposées à l’insécurité alimentaire, dans les pays en développement, est passé de 243 à presque 350 millions sur la période 2000-2017. 
  • sur le littoral, on observe aussi la réduction du nombre de poissons, là où les récifs coraliens sont malades, avec un impact sur l’alimentation et les revenus des populations locales. 
Utilité de l’approche économique 

On le voit, les estimations financières de la valeur de la biodiversité pour le bien être humain sont centrées sur l’espèce humaine, via une approche assez matérialiste. Les populations amazoniennes en parleraient sans doute avec d’autres termes. 

Etant libellés en unité monétaire, elles ont le mérite d’être plus susceptibles d’entraîner une prise de conscience, notamment chez les décideurs. On parle même de « capital naturel ». 

Dans cette optique, il n’est pas nécessaire de voter "écolo" pour prendre la mesure du vivant. C’est un calcul de bon sens, y compris pour les activités marchandes, de ne plus surexploiter ou dégrader les écosystèmes dans une optique court terme. 

 Une fois dotés de cette base chiffrée, les entreprises et les Etats disposent des données pertinentes afin d’intégrer la biodiversité dans leurs activités ou dans les politiques publiques. Compte tenu de leurs expertises, de nombreuses ONG participent aux débats.

Pour aller plus loin : 

Site web du Millennium Ecosystem Assessment et de l’UICN 



Article de Courrier International : Le poids des constructions humaines dépasse celui du monde vivant sur la Terre 

On a vu lors du confinement que la faune a repris ses droits. En avril 2020, des patrouilles littorales ont filmé des images exceptionnelles, montrant deux rorquals communs nageant paisiblement dans les eaux du Parc national des calanques. Les ornithologues ont aussi observé une explosion des naissances de flamants roses en Camargue 

Intervention de Pavan Sukhdev en 2011 au TedGlobal
En Inde 
 

  

1 commentaire:

Anonyme a dit…

A partir de plusieurs bases de données mondiales, les scientifiques ont pu compiler les coûts de différents aléas naturels et des invasions biologiques – les espèces envahissantes sont définies comme ayant été introduites par des activités humaines et ayant des impacts néfastes sur la société et l’environnement. Résultat, entre 1980 et 2019, les pertes financières dues aux espèces envahissantes s’élèvent à 1 200 milliards de dollars, contre près de 1 900 milliards pour les tempêtes et environ 1 100 milliards pour les tremblements de terre ou les inondations, 244 milliards pour les sécheresses ou 140 milliards pour les feux de forêts. (source : Le Monde)

Enregistrer un commentaire