mardi 12 octobre 2010

La crise et la priorité accordée au social transforment le mécénat en France








ADMICAL-Carrefour du mécénat d’entreprise a dévoilé hier à la Maison de la RATP à Paris les résultats de l’enquête « ADMICAL-CSA Le mécénat d’entreprise en France en 2010 ».

Publiée tous les deux ans, cette enquête réalisée entre avril et mai 2010 révèle que les entreprises sont de plus en plus nombreuses à s’engager dans le mécénat, mais que les budgets ont diminué avec la crise. Les effets de la morosité ambiante, encore peu sensibles début 2009, se font désormais bien sentir selon l’Admical (l’association pour le développement du mécénat industriel et commercial). 


Les domaines plébiscités par les entreprises évoluent, marquant selon ses propres termes la fin d’une ère dominée par le mécénat culturel. Une dominante qui remontait à l'origine même du mécénat à Rome à l'époque de l'Empereur Auguste.

Le mécénat suscite des vocations de plus en plus nombreuses chez les entreprises : 27 % des entreprises de plus de 20 salariés pratiquent le mécénat en France, contre 23% en 2008. Cela représente une hausse de 17 % par rapport à 2008 et porte à environ 35.000 le nombre d’entreprises converties en France. Aujourd’hui, 43 % des entreprises de plus de 200 salariés pratiquent le mécénat, contre encore 18% en 2006. Ces grandes entreprises représentent 15% des mécènes, mais 63% du budget global du mécénat.

Globalement, le mécénat d’entreprise représente aujourd’hui une enveloppe de 2 milliards d’euros. Cela marque une diminution de 20 % par rapport à 2008, qui affecte apparemment uniformément tous les acteurs, quelles que soient leurs tailles. A titre de comparaison, la Fondation de Bill Gates aurait eu l’an passé un budget de 3,8 milliards de dollars.

Mais, si on regarde dans le détail, le budget moyen par mécène est passé de 84.000 à 57.000 euros entre 2008 et 2010, soit une chute de 32%, qui s’explique notamment par l’élargissement du nombre des donateurs.

Plus l’entreprise est importante, moins le budget baisse.
Chez les entreprises de plus de 200 salariés, le budget moyen est ainsi passé de 293.000 à 240.000 euros, mais le nombre de mécènes de cette taille a stagné, voire légèrement baissé, avec sans doute des désengagements de certains acteurs. Chez les grands mécènes, la politique de mécénat est censée correspondre à des objectifs stratégiques bien déterminés et peut faire l’objet de programmes pluriannuels. Dans ces conditions, dans un souci d’efficacité et d’accompagnement, il est difficile pour eux de tirer la révérence et de quitter la scène, même si le mécénat peut se révéler une tentante variable d’ajustement. Néanmoins, les aspects sociaux de la crise ont visiblement mis au second plan le domaine artistique et culturel, lorsque certaines dépenses peuvent être jugées somptuaires par les salariés et refléter les lubies d’un dirigeant.

Les grandes écuries disposent d’un budget 16 fois supérieur à celui d’une PME de moins de 100 salariés, qui pour sa part a vu son budget moyen fondre de 34% en moyenne en deux ans à environ 15.000 euros. L’arrivé de plus de 5.000 nouvelles entreprises mécènes de moins de 200 salariés entre 2008 et 2010 est porteuse d’espoir, mais ne permet pas de compenser l’effet volume de l'érosion des budgets moyens.

Dans le détail, les entreprises soutiennent le social, l’éducation et la santé (58 %), puis le sport (48 %), la culture et le patrimoine (37 %), la solidarité internationale (19 %), l’environnement (12 %) et enfin la recherche (7 %). Les causes portées par les entreprises évoluent de plus en plus vers un mécénat croisé, souvent à la frontière de plusieurs disciplines. Le sport serait très propice à ce genre de croisements.

Si la culture est encore soutenue par 37 % des entreprises, elle ne représente plus que 19 % du budget du mécénat, soit environ 380 millions d’euros (contre 39 % en 2008, avec 975 millions d’euros) à égalité avec le sport, qui voit son enveloppe tripler. En période de crise et d’incertitude sur les lendemains, il est sans doute plus difficile de justifier certaines actions culturelles, qui sont parfois difficile à intégrer dans une politique RSE, qui demande une proximité avec le métier de l'entreprise. Les outils d’évaluation ne permettent sans doute pas de calculer quel peut être l’effet de levier de certains dons, comme la récente acquisition pour un musée de «L’Aphrodite à la Coquille», grâce au mécénat de Neuflize OBC, qui a apporté 500.000 euros sur un prix total de 1.050.000.

Cité par Les Echos, Olivier Tcherniak, Président de l'Admical 

« La quête de résultats rapides fait pression sur les responsables du mécénat, les incitant à favoriser des causes plus immédiates. Le soutien à la culture est encore considéré par certains comme un outil de relations publiques non essentiel ».

Le social, l’éducation et la santé représentent ensemble 36 % du budget des entreprises sondées, soit approximativement 720 millions d’euros. Les budgets consacrés à la recherche sont divisés par 3. Le mécénat environnemental passe en deux ans de 375 à 220 millions d’euros, une tendance qui reflète sans doute un certain dégonflement du sujet du réchauffement climatique ces derniers temps dans les médias et une lassitude par rapport à son caractère alarmiste, comme l’a montré l’agacement de certains sponsors de Nicolas Hulot à la sortie de son dernier film.

Pour l’Admical, la fiscalité du mécénat mériterait sans doute d’être réaménagée. En effet, le budget de mécénat ne représente parfois que 1% du budget de communication d’un grand groupe, si bien que les avantages fiscaux ne semblent pas décisifs pour faire du mécénat. En revanche, les PME se voient imposer un plafond par rapport à leur chiffre d’affaires, qui les bride.

Pour Stéphane Rozès, président de Cap, Conseils Analyses et Perspectives et ancien DG du CSA, les entreprises ont tendance à plus communiquer sur leurs valeurs que sur la qualité de leurs offres. Il rappelle le besoin de cohérence les messages émis sur la politique sociale et environnementale des entreprises et leur modèle économique dominant fait de pression et de court terme, avec actuellement moins de moyens. 


L’entreprise doit faire la démonstration de son empreinnte écologique, sociale et sociétale. Pour y parvenir, la firme doit d’abord traiter correctement ses salariés, penser ensemble la communication corporate, de la marque et des produits et enfin apporter des preuves à son discours : l’action avant la communication. De son côté, le consommateur désire qu’on passe d’un discours sur l’empreinte à des faits sur ses contributions. Le défi n’est pas facile, car on assiste à une dilution des discours, entre lobbying, sponsoring, mécénat et RSE.

Dans ce cadre, le mécénat qui est malmené doit être réapproprié au sein de l’entreprise, notamment en communiquant sur les réseaux sociaux et en maintenant une cohérence et un minimum de moyens, en tâchant de se distinguer de la pure communication. Le mécénat apporte dans le contexte actuel des outils utiles en termes de proximité et de rapport aux territoires. Face à ce discours, qui insiste sur la cohérence, la pérennité et l’implication des salariés, le mécénat de compétence fait figure de parent pauvre, puisque seulement 21% des entreprises mécènes y recourent.

En termes de projection, selon cette étude, 70% des entreprises vont stabiliser leurs actions de mécénat dans les deux ans, mais 27% des grandes entreprises prédisent une augmentation de leurs budgets. Si elles voulaient revenir au niveau de 2008, les grandes firmes devraient réinjecter 315 millions d’euros supplémentaires.

Cette étude ne décrit pas précisément qui sont les nombreux bénéficiaires du mécénat corporate. Ce sont sans doute les plus petites associations, les moins professionnelles, qui ont subi des coupes franches depuis deux ans, surtout dans le domaine culturel, où l’Admical appelle à secourir la création. Avec le risque de voir des associations à deux vitesses : les plus professionnelles, visibles, capable de fournir un retour sur investissement, et les autres, qui manquent d’arguments, ne pas réussir à ouvrir les bonnes portes. Néanmoins, les associations dispersées sur le territoire, proches du terrain et aux objectifs clairs, ont des chances de trouver la perle rare, car le potentiel de croissance du mécénat en France aujourd’hui se situerait surtout au niveau des entreprises moyennes, même si le budget des plus grandes firmes devraient aussi connaître retour à meilleure fortune.

Autre donnée encourageante, les dons d'entreprises ont progressé de 5,9% aux Etats-Unis en 2009, ajusté de l'inflation. Selon le Committee Encouraging Corporate Philanthropy, cette tendance est tirée à la hausse par les plus grandes entreprises, en particulier celles évoluant dans la finance et les produits pharmaceutiques. Les dons d'entreprises avaient diminué d'environ 9,6% en 2008, donc plus tôt qu’en France. De 2007 à 2009, le recul de leurs dons ne s’élève plus ainsi qu’à 4,3%. Néanmoins, une partie de ce rebond traduit en fait une hausse des dons en nature. Ce regain de générosité chez les multinationales a permis de compenser le déclin des dons observé chez les entreprises plus modestes en 2009


Les ONG doivent aussi compter sur le soutien de leurs membres pour ne pas dépendre exclusivement du monde des affaires. Ainsi, la LPO a réussi à afficher en 2009 un budget en hausse, malgré un recul de la part du mécénat, grâce à la générosité du public et aux subventions. Il s’agit encore une fois de ne pas mettre tous les œufs dans le même panier et de parvenir à se différencier quand les ressources se raréfient.

Le site de l’Admical, avec le dossier complet
http://www.admical.org

Le compte rendu de l’Agence Limite
http://agence-limite.fr/blog/2010/10/11/enquete-admical-institut-csa-un-mecenat-impacte-par-la-crise-economique-mais-solidement-implante-en-france/

Pour aller plus loin :

La crise a affecté les Fondations d’entreprise
http://ong-entreprise.blogspot.com/2010/06/jusquen-2009-la-crise-davantage-affecte.html

Le sport, porteur de sens
http://ong-entreprise.blogspot.com/2010/07/pour-les-ong-le-football-nest-pas-quun.html

Dix règles d’or pour les partenariats PME/associations
http://ong-entreprise.blogspot.com/2009/11/dix-regles-dor-pour-les-partenariats.html

Des entreprises mécènes beaucoup plus structurées
http://ong-entreprise.blogspot.com/2009/07/des-entreprises-mecenes-beaucoup-plus.html

3 commentaires:

Anonyme a dit…

La culture et le patrimoine sont en perte de vitesse. Mais, ce constat reste en trompe l’œil. Si on exclue ce champ, le budget mécénat des entreprises françaises pour toutes les autres causes est passé en 2 ans de 1,5 à 1,6 milliard d’euros, soit une hausse de 6%, ce qui indique que les bailleurs de fonds ont pratiqué un arbitrage très corrosif, dont ont seulement profité le mécénat sportif et le social/solidarité. L’enquête a aussi pu être influencée par le séisme à Haïti, qui a eu lieu le 12 janvier 2010, et qui a eu de nombreux relais dans les entreprises et leurs salariés.
Dans d’autres domaines, l’exemple part aussi du sommet de l’Etat avec le fameux "l'environnement ça commence à bien faire" en mars dernier à destination des agriculteurs. Le mécénat corporate n’échappe donc pas aux modes, avec le risque d’une sur-communication du monde des affaires sur certaines causes à certains moments, dans un mouvement moutonnier, qui noient leur public et les éloignent du sujet et de l’émetteur.

Koeo a dit…

Et l'étude montre également une relative stagnation du mécénat de compétences (mise à disposition ponctuelle et gracieuse de collaborateurs d'entreprise auprès d'associations d'intérêt général), ce qui est paradoxal au moment où les entreprises se doivent d'intégrer leurs salariés dans des démarches de mécénat participatif pour répondre à une multitude d'enjeux (RSE, quête de sens, gestion de la sous-employabilité, redéploiement des seniors, attractivité de leur marque "employeur", ...). Information et pédagogie à renforcer auprès des entreprises ...

Anonyme a dit…

Un article de Carenews révèle un effet pervers du mécénat culturel. Sous la plume de Flavie Deprez
Ce qu’on avait déjà expliqué dans l’article sur le mécénat croisé se retrouve ainsi appliqué à l’échelle d’un même domaine philanthropique. Dans les exemples étudiés par Emmanuel Fessy, on apprend que le Metropolitan Museum loue désormais l’immeuble du Whitney Museum. Le Met s’agrandit pour pouvoir exposer sa collection étendue d’art contemporain.
Le Moma quant à lui achète l’immeuble de l’American Folk Museum.
Les goûts des donateurs, mais aussi des décideurs des entreprises, influencent évidemment les investissements des institutions, surtout quand le mécénat a une destination particulière ou a pour but d’ouvrir un département nommé d’après le mécène.
Les débats qui entourent la dépendance des bénéficiaires et les déséquilibres entraînés par des mécénats prépondérants ne sont pas si nombreux. Ils sont surtout présentés sous un angle politique (perte d’autonomie) ou artistique (refus de certains courants/artistes), et non pas avec cet angle de vue, celui des concurrences internes.
Les tendances existent en mécénat comme en tout, et les rouages de la communication et du marketing participent de cette dynamique. Il y a le cas précis des musées New Yorkais qui est très marqué par l’influence de l’économie, la notion de « nécessité d’investissement » et par le pouvoir des artistes vivants. L’article cité ci-dessus évoque aussi les musées français, moins sensibles mais sur une voie similaire.
Un rapprochement à faire est celui des déséquilibres et variations géographiques, médicales ou disciplinaires avec des dons humanitaires souvent influencés par les médias, les conseils mais aussi les tendances en terme d’engagement, selon les modes ou les événements personnels qui touchent les individus comme les entreprises.
La question est intéressante et le débat est prometteur. On entrevoit les conséquences concrètes de ces influences, il serait intéressant d’en connaître les détails et les mécénismes pour, si ce n'est y remédier, du moins rééquilibrer le système.

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