jeudi 10 janvier 2013

Les ONG doivent-elles s’inspirer de FarmVille ?



FarmVille est un jeu de simulation développé par la société américaine Zynga. Disponible sur Facebook et Microsoft MSN Games, il permet à ses membres de devenir manager d’une ferme virtuelle.

L’internaute a ainsi l’occasion de développer son exploitation, procéder à des récoltes virtuelles et élever du bétail. Pour passer des niveaux, il est possible d’acheter certains produits, comme un tracteur, ce qui constitue la base du business model de l’éditeur.

 Peu après son lancement en juin de 2009, FarmVille est devenu l'application de jeu la plus populaire sur Facebook, avec un pic en 2010 à plus de 80 millions d'utilisateurs actifs et plus de 22,5 millions de fans (02.2010). Le côté viral de cette application est aussi boosté par de l’autoposting sur les murs des abonnés à Facebook. Le succès de Zynga est aussi celui d’un marketing innovant, qui a compris le potentiel d’une démarche affinitaire.



Bien qu’une nouvelle version vienne d’être lancée, ce jeu gratuit a enregistré ces derniers temps un certain déclin. FarmVille2 n’aurait séduit que 40 millions d’utilisateurs uniques par mois, dont 8 millions de quotidiens.

Fort d’un gros portefeuille de jeux en ligne et d’un budget de recherche colossal, le chiffre d’affaires de Zynga Inc. est passé de 121 M$ à 1,1Md$ de 2009 à 2011, avec un seul exercice bénéficiaire en 2010. De nouveau déficitaire sur les 9 premiers mois de l’année 2012, Zynga a engagé un programme de réduction de ses coûts. Il abandonne également certaines applications. Cotée au Nasdaq, l’action Zynga a perdu 52% de sa valeur depuis 6 mois et la firme capitalise désormais moins de 2 Mds$.

En 2012, sur l’ensemble des jeux qu’il a conçus, Zynga a en effet perdu 12 millions d’utilisateurs. A ce titre, Internet en 2012 aura connu quelques flops comme la surévaluation de Facebook lors de son IPO et le mauvais accueil aux modifications des conditions d'utilisation d'Instagram.



FarmVille mérite d’être mentionné sur ce blog, dans la mesure où Zynga.org exploite aussi l’univers du jeu pour avoir un impact social positif. A ce titre, plus d’1 million de joueurs ont contribué à donner plus de 13M$ à travers les jeux Zynga. Ces fonds ont été versés, selon ses propres termes, à des organisations à but non lucratif étant « clairement orientés vers les résultats ».

Des partenaires comme Relief International, Save the Children, Habitat for Humanity, KaBOOM!, St. Jude Children's Research Hospital ou encore la Wildlife Conservation Society. A travers le World Food Programme (Programme Alimentaire Mondial de l’ONU), la générosité des joueurs a permis de distribuer des biscuits vitaminés auprès d’enfants d’Haïti.

Fin 2012, les derniers partenariats ont concerné The Marine Toys for Tots Foundation et water.org. Dans ce dernier cas, les internautes pouvaient acheter des jerrycans, des pompes et des systèmes d’arrosages virtuels.

Zynga. org from Lisa Kim on Vimeo.

Des marques commerciales ont aussi intégré la plateforme. Selon elgamificator.com, Pizza Hut s’est associé au World Food Program pour offrir au sein de FarmVille, CityVille, Empire and Allies et FrontierVille des bâtiments ou objets liés à l’univers de la nourriture. Ces bâtiments/objets étaient vendus aux joueurs 5$ pièce, somme intégralement reversée au World Food Program.

Bien que Zynga permette aux ONG de toucher de nouveaux donateurs, de nombreux reproches ont été exprimés concernant FarmVille, notamment dès le départ son manque d’originalité. Selon Wikipédia, FarmVille a même reçu une distinction du Time magazine dont il se serait bien passé : il a été qualifié comme faisant partie du club des 50 pires inventions de ces dernières décades...

Ce genre de jeux se voit aussi critiqué sur son aspect intrusif, répétitif (mode d’obtention des récompenses), voire abêtissant. Il existe une certaine pression pour avoir la plus belle ferme. Sans parler le cas échéant de l’exploitation du carnet d’adresse des joueurs. Et une certaine futilité :

  • Un Danois a acheté 3.700 flamants roses afin de décorer sa page d’accueil FarmVille ! 
  • A l’occasion de changement de niveaux, il y a eu aussi 3,4 millions de danses virtuelles sur le jeu dans le « style Gangnam ». 
  • Pire, une américaine de 22 ans, excédée par les cris de son bébé, a tué ce dernier en le secouant car elle n'arrivait pas à se concentrer en jouant à FarmVille en octobre 2010. Un cas extrême et bien sûr non représentatif. 
  • De nombreux internautes sont las de recevoir une avalanche d’invitations, leur suggérant de s’inscrire sur FarmVille et devenir fermier virtuel, comme en témoigne un buzz négatif sur Twitter. 


La gamification 2.0 semble promise à de belles perspectives selon les instituts de recherche. Mais, le succès mondial de certains jeux peut aussi avoir des effets pervers. Pour la société de micro-crédits peer-to-peer Kiva, Zynga est devenu son principal concurrent.

En effet, Premal Shah considère que les jeux en ligne détournent l’attention des Occidentaux des problèmes importants en occupant une partie croissante de leur temps libre. C’est ce qu’il a déclaré à TechCrunch en octobre 2010.

Si ces joueurs en quête d’évasion ne sont pas fondamentalement égoïstes, ils ressentent le besoin humain de se déstresser en fin de journée, d’interagir avec des amis et leur famille, en se soustrayant à la morosité de l’actualité.

Dans ce contexte, Kiva se disait à l’époque sous pression et souhaitait s’adapter à la nouvelle donne malgré des moyens limités. En 2011, Kiva a néanmoins poursuivi sa croissance. La plateforme de microfinance a en effet bénéficié de l’engagement de 458.000 prêteurs actifs, en hausse de 23% en un an.

“I think our biggest competitor is actually, probably Zynga. It’s not other nonprofits it’s actually competing for people’s attention. That fantasy football player in Canton, Ohio who might play two hours of Farmville at night, how do we get them to think about Uganda?…If building a real farm on Kiva can be as compelling as building a virtual farm on Facebook, then I think we’ve done our jobs really well.” 

Mais, outre l’aspect lucratif, FarmVille se distingue des expériences récentes menées par certaines ONG tentées par la gamification solidaire 2.0. Les associations y intègrent non seulement une dimension solidaire, mais pédagogique, sous forme de sensibilisation. Le joueur y aborde de manière ludique des problèmes parfois complexes et nécessitant une approche dans la durée. Le jeu est virtuel, mais la cause est réelle.

Le secteur associatif ne peut pas non plus tolérer une dérive des frais de développement, qui pourraient mettre en péril sa pérennité. Faute d’un budget marketing conséquent, une ONG peut tout de même compter sur le soutien de ses sympathisants, notamment sur les réseaux sociaux, pour générer du buzz, si le jeu et la cause sont pertinents. Le jeu procure dans ce cas-là l’opportunité de multiples contacts et devient un facteur de fidélisation.

Parfois même sous la forme d’opérations ponctuelles comme catalyze4change.org, ce qui dissipe le risque addictif.

 

Y compris dans l’éducation des femmes dans les pays en voie de développement, à travers ce partenariat entre Half the Sky et l’ONG Games for Change, qui promeut le changement social en s’amusant.




Et un entrepreneur social a obtenu des résultats étonnant en présentant aux ménages la corvée du recyclage comme un apprentissage ludique et gratifiant: “How Recyclebank Uses Gamification to Incentivize Recycling”



Pour Jane McGonigal, les joueurs ont le potentiel de changer le monde.



Pour aller plus loin : 

Etymologie : source The Global Oneness Commitment 

The word capital has roots in the trade and ownership of animals. The Latin root of the word is capitalis, from the proto-Indo-Europeankaput, which means "head", this being how wealth was measured. The more heads of cattle, the better. The terms chattel (meaning goods, animals, or slaves) and even cattle itself also derive from this same origin. The lexical connections between animal trade and economics can also be seen in the names of many currencies and words about money: fee (faihu), rupee (rupya), buck (a deerskin), pecuniary (pecu), stock (livestock), and peso (pecu or pashu) all derive from animal-trade origins.

SFR Août 2012 : la gamification solidaire 
http://www.sfr.com/nos-engagements/faisons-du-numerique-une-chance-le-blog/08062012-1133-les-dossiers-de-lete-la 

Pew Research Center : The Future of Gamification 
http://pewinternet.org/Reports/2012/Future-of-Gamification.aspx 

 Décembre 2012/ Top 10 Social Gamification Examples that will make the Human Race Better http://yukaichou.com/product-gamification/top-10-gamification-examples-human-race/ 

Gary White: Democratizing Philanthropy 
Gaming and charity have a long-time relationship. From church run-Bingo to celebrity poker, people have long sought to leverage their social and leisure time for good. Advancements in technology have allowed us to kick this up a notch and create a whole new kind of social activism. Instead of taking it to the streets we are taking it to the web. Not only meeting people where they live, nonprofit organizations are entering the game and becoming part of the story… 
http://www.huffingtonpost.com/gary-white/charity-and-technology_b_2260345.html 

Statistiques sur FarmVille
http://www.appdata.com/apps/facebook/102452128776-farmvillehttp://www.appdata.com/apps/facebook/102452128776-farmville 

Comment les marques peuvent-elles engager les consommateurs dans les jeux sociaux ?http://www.elgamificator.com/comment-les-marques-peuvent-elles-engager-les-consommateurs-dans-les-jeux-sociaux 

NYT. Avril 2012. Sam Anderson /Just One More Game ...Angry Birds, Farmville and Other Hyperaddictive ‘Stupid Games’ 
http://www.nytimes.com/2012/04/08/magazine/angry-birds-farmville-and-other-hyperaddictive-stupid-games.html?pagewanted=all&_r=0

2 commentaires:

Frédéric Bardeau a dit…

excellent papier comme d'hab

Anonyme a dit…

intéressant. Il y a une financiarisation de l'engagement à des valeurs par des sociétés diverses, donc ici par le jeu, ailleurs par la pétition (change.org), ailleurs par le clic en faveur de dons. C'est un bizness qui s'enrichit en accordant du temps de cerveau de militants réactifs et engagés à des multinationales qui blablatent sur les valeurs pour se faire facade valorisante. Odieux.
Un article sur ce sujet serait intéressant. Voir Kokopelli : Georges Soros serait derrière cela aussi...

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